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FAUT-IL REFONDER LE CAPITALISME ?

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Olivier Védrine

L'Europe à table

En lisant les journaux, en écoutant la radio ou en regardant la télévision, on remarque l’abondance d’avis sur la crise que nous entamons et le grand nombre d’experts tous prêts à nous expliquer les disfonctionnements de notre économie de marché.

Deux écueils me semblent devoir être évités dans tous ces raisonnements :

- le premier, celui de penser que nous sortirons de cette crise dans un ou deux ans, car elle n’est qu’un cycle d’ajustement conjoncturel ;

- le second, partant de bons sentiments, celui de « moraliser l’économie », et qui voudrait nous présenter la possibilité d’un changement radical de celle-ci pour aller vers de nouveaux lendemains radieux...

Le premier point de vue n’est plus très répandu, mais je crains que le second ne se développe. Il serait grave et dangereux de faire croire à des populations victimes des conséquences de cette crise que l’ensemble de leurs problèmes peut être résolu par l’application rapide de règles radicales pour une nouvelle économie soit disant plus humaine.

Si l’on veut être sérieux, c’est plutôt vers la définition même du capitalisme qu’il faut commencer à se tourner si nous voulons trouver une solution. Ce n’est pas la fin de ce système dont il nous faut parler, mais bien plus de sa refondation. Depuis les années 1980, la finance avait pris les commandes de l’économie et en avait virtualisé le fonctionnement (cf : les marchés des dérivés). Mais l’économie véritable n’est pas du virtuel, c’est du réel, c’est la valeur du travail. Je produis et je vends un bien qui existe : c’est le sens moral du capitalisme.

Ce n’est pas le financier qui doit tout seul faire marcher le système, par principe ce n’est pas sa vocation ; c’est sur l’activité de l’entrepreneur que tout repose. Les banques doivent revenir à leurs objectifs fondateurs : être au service de l’entreprise ! C’est là, l’unique moralisation de l’économie que nous pouvons attendre. Pas de promesses faciles, ce n’est pas le capitalisme qui gommera les inégalités sociales ou changera le système de santé, cela n’est pas son rôle et ne le sera jamais, cette fonction appartient à l’Etat et aux choix du Politique.

Mais cela ne signifie pas qu’il ne nous faille pas réfléchir à des adaptations du système aux enjeux futurs et au monde moderne. La nécessité d’un retour de l’Etat et/ou des Etats comme régulateurs sous des formes qu’il nous reste à définir m’apparaît nécessaire. Peut-être même la mise en place de New deals en Europe comme aux Etats-Unis peut être une réponse. Ce qui est certain, c’est l’impérative nécessité qu’il y a et qu’il y aura à bien gérer les conséquences de la crise. En effet, les échecs des politiques de relances seront autant d’arguments pour des politiques promouvant des solutions rapides et toujours désastreuses qui de protectionnismes en nationalismes nous amèneront à une conclusion qu’il nous faut éviter maintenant. Pour exemple, si l’Europe échouait dans ses politiques de relances, car seul l’Europe et l’ensemble de ses états peut pour le bénéfice de chacun d’eux faire face aux enjeux et non pas un état seul car il n’en a pas les moyens suffisant, donc si l’Union Européenne devait échouer, on peut facilement imaginer les arguments qui seront donnés à certains prometteurs d’idées radicales. Il pourrait en résulter la fin de l’Union Européenne. Au contraire, c’est peut-être là une chance pour l’UE d’apparaître, si elle réussit par ses décisions à lutter pour la protection de nos sociétés, comme un nouvel acteur important pour ses citoyens tout d’abord et ensuite pour le reste du monde. L’ensemble des outils pour faire face aux enjeux et problèmes futurs ne pourront être mis en place que par des coopérations entre les nations et/ou groupes de nations, peut être nous pourrons voir par cette conséquence inattendue de la crise, l’émergence d’une véritable communauté internationale.

Après le nécessaire retour de l’Etat dans l’économie et donc du Politique, il nous faut maintenant analyser quelles sont les possibilités structurelles de nos économies pour mieux apprécier les changements. Celles-ci commencent par la nécessité d’accentuer les investissements dans les secteurs de la recherche et aux profits des chercheurs. En effet, l’entreprise a besoin d’un produit à vendre et celui-ci vient en amont d’un processus de travaux et d’activités de recherches. Pas d’entreprises innovantes, solides et rentables sans une grande qualité de la recherche. Les produits de demain sont dans les laboratoires, les nôtres (ce qui est préférable) ou ceux de nos concurrents (ce qui l’est moins…). Là sont nos futurs bénéfices et donc nos futurs emplois. Ce qui va nous obliger aussi à investir dans les nouvelles technologies. La mutation du secteur de l’automobile, qui va traverser une crise semblable à celle de la sidérurgie dans les années 1970 et 1980, ne pourra se faire que par l’application de celles-ci : la voiture propre, moins consommatrice d’énergie et/ou entièrement construite en matériaux recyclables, remplie de nouveaux instruments de navigation.

Les efforts dans le domaine des énergies renouvelables sont aussi créateurs de richesses et d’emplois. La mise en place pour les habitations de nouvelles formes d’énergies (solaires, biomasse, géothermie…) sont autant d’entreprises à créer et donc d’emplois futurs. Les problèmes d’environnement nous demandent déjà des changements de modes de vie qui nous amèneront dans un futur proche à créer aussi des entreprises pour répondre aux besoins en matériaux nouveaux, en nouvelles énergies, pour de nouvelles façons de consommer.

Un autre point doit être abordé pour s’adapter à la nouvelle donne : le rôle des nouveaux acteurs comme forces de propositions, complémentaires des fonctions de l’Etat. En effet, par des instruments comme Internet et sa conséquence qui est une mondialisation de l’information, la Démocratie dans sa dimension de Gouvernance est en pleine mutation. Les citoyens ou les groupes de citoyens par les associations notamment mais aussi les ONG, les Fondations doivent et vont participer à la résolution de cette crise, surtout quand elle va rentrer dans sa phase sociale. Cela peut être pour nos sociétés un formidable renouveau démocratique et les débats qui s’en suivront seront porteurs de changements dans la gouvernance même des états. Il y a là avec l’ensemble de ces nouveaux acteurs et avec l’Etat, un grand débat d’idées où la place de la morale et de l’éthique dans l’économie et le capitalisme pourra être abordée.

Cette crise peut être une chance pour l’Europe. En effet, si celle-ci fait face, par une cohésion affichée de ses Etats membres, elle trouvera auprès de ses citoyens un écho plus que favorable. Elle entamera ainsi une nouvelle période de son histoire, où unie et solidaire, forte d’un grand espace de démocratie, d’une économie rénovée, elle pourra faire face aux défis et crises futurs et apporter dans un monde multipolaire sa voix et ses propositions.

Olivier VEDRINE

Translated from MUST CAPITALISM BE RESTRUCTURE ?