Faust à Bruxelles – une interprétation libre
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Par Lisa Kittel On ne pouvait éviter les tensions musculaires en regardant le spectacle de Faust, mis en scène par Silviu Purcârete, la semaine dernière sur le site du Tour et Taxis à Bruxelles. Le spectateur a été surpris, a eu des frissons ou s’est laissé enchanter. Faust, le vieux professeur qui fait plein d’expérimentations, est devenu un vrai magicien.
Dès le début, les comédiens se sont précipités sur la scène. La dynamique des acteurs courants dans tous les sens, la froideur, la chaleur, les odeurs étaient d’une intensité telle que le public pouvait vivre l’action avec les comédiens. Plus tard, ils ont même fait partie du jeu : à un moment donné, la scène s'est ouverte à l'arrière. Pendant que la représentation continuait, le public a été conduit pour célébrer la nuit de Walpurgis avec Faust et d’autres créatures d’apparence infernale dans le grand hall derrière. Accompagné de la musique rock en live, on voyait des représentations acrobatiques mêlant le feu, la nudité et le sang en intermittence.
Remarquable était l’interprétation du Méphisto androgyne, joué par Ofelia Popii. Elle a commencé par un striptease et le regard du public venait à elle, en d’ autres circonstances elle arborait d’élégantes tenues et cela plaisait tout autant. Popii était convaincante avec ses mouvements animaliers, sa voix rauque qui, très douce, très forte était flexible au même niveau que le jeu entier de l’actrice : Méphisto enfilait tour à tour le rôle de la séductrice sexy, de l’enfant vexé, du professeur empoussiéré de la science et également celui du perdant. Aussi charmante que sa prestation en tant que Méphisto, le changement fût grand de voir Popii lorsqu’ elle s’est désincarnée de son personnage. Touchée, elle avait l’air humble face au public
L'impression que les acteurs jouent avec beaucoup de respect envers le public est confirmée par Constantin Chiriac du théâtre national Radu Stanca à Sibiu: « Nous répétons tous les jours. » Lui qui ne répète pas seulement avant la première mais aussi tous les autres jours en se dépensant pour une pièce que la troupe a déjà joué tant de fois avant, prouve qu’à chaque fois le respect du spectateur est assuré.
Faust est pédophile - une interprétation bien fondée dans le texte
Il s’agit d’une mise en scène pouvant parfois choquer et d’une adaptation très libre d’après Goethe qui captive le public et apporte de nouveaux aspects. Le personnage de Marguerite est une des idées les plus innovatrices de Purcârete. Au lieu d’une jeune femme, elle est représentée par six adolescentes. Chiriac: « Marguerite a selon Goethe seulement douze ans. Si Faust voulait vraiment quelque chose d’une fille de cet âge, c’est une folie! Dans ce cas, il ne s’agit pas d’être intéressé par une femme, mais seulement du désir brûlant d’avoir quelque chose avec un enfant. C’est pour cela qu’après beaucoup de discussions, nous avons décidé que Marguerite devrait être joué par plusieurs filles. » - La possibilité d’interprétation de Faust, bien présente dans le texte dramatique, comme un vicieux intéressé par un enfant au lieu d’un homme mûr qui se laisse envoûter par l’innocence rafraichissante d’une jeune femme, n’a pas été assez reconsidéré dans d’autres représentations.
Parfois Faust apparaît, représenté par Ilie Gheorghe, comme si il avait perdu un peu de son caractère polyvalent. Souvent son expression paraît un peu figée entre son enthousiasme pour les propositions de Méphisto, son désespoir et son regret éprouvé par rapport à sa situation. Le tragique de la situation de Marguerite ne manque pas mais vu la mise en œuvre spectaculaire et en lisant les sous-titres, il est quand même facile à perdre pour le spectateur.
Pucârete dit qu’il veut créer des émotions théâtrales: "Il y a des émotions intellectuelles, des émotions esthétiques et tout cela fait partie de l’émotion théâtrale. » Tout doit être un spectacle populaire mais pas populiste. Parfois, on reçoit un peu trop de suggestions d’émotions. Par exemple par des costumes où l’un surpassait l’autre et l’utilisation de la télévision en parallèle de beaucoup d’autres animations . Il faut bien avouer que ces accessoires techniques apportent aussi de l’esprit moderne à la pièce, le vieux et le nouveau se côtoient et montrent ainsi que dans les grandes questions de la vie, l’homme d’autrefois et l’homme d’aujourd’hui se ressemblent.
À la fin, c’est l’amour qui gagne car Méphisto tombe amoureux. Amoureux de l’aventure, de sa complicité avec Faust. Et si le diable y arrive, il n’est sûrement pas trop tard pour vous.