Expo : les images de la colère
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A Madrid, depuis le 12 mai, l’exposition de Médecins du Monde « 34 images contre l’oubli » fait une tournée européenne et relance le débat sur les crises humanitaires oubliées par la société et évalées par l’actualité. Edifiant et nécessaire.
« Médecins du monde revient ici à sa mission initiale : témoigner des crises humanitaires oubliées, à partir de photos refusées dans la presse, parce qu’elles ne collaient pas assez avec l’actualité », explique Noëlle Rodembourg, responsable de la communication pour l’ONG en Belgique. Des crises durables, mais qui sont pourtant ignorées par la majorité de la population : la Mongolie, le Liberia, le Niger, l’Ouganda, et même la France, où la situation du logement pour le peuple gitan est abordée. Oui, les bidonvilles en France, ça existe.
L’exposition « 34 vues contre l’oubli » s’est déroulée en Belgique en mars 2008 avec 3500 visiteurs, avant de partir pour l’Espagne, deuxième étape d’une tournée européenne 2008. « Les photoreporters ont activement participé à cette exposition, dans laquelle ils livrent leur témoignage », poursuit Noëlle Rodembourg.
Un humain derrière l’objectif
Donner du temps au spectateur pour ressentir les choses, créer une vraie proximité entre public et les victimes : à l’heure du tout numérique, le visiteur est invité à entrer dans une grande chambre noire. Ici, le photographe prend le temps de développer ses photographies, et le spectateur de se laisser imprégner par l’image. Chaque cliché est accompagné d’un commentaire réalisé par le photographe lui-même, qui relate son expérience personnelle, tiraillé entre le professionnalisme du technicien et la sensibilité de l’être humain.
Ces commentaires sont nécessaires à la compréhension d’un cliché qui peut paraître impersonnel à première vue. C’est ce que souligne Norbert Musset en sortant de la chambre noire : « Nous sommes constamment exposés aux images, qui peuvent finir par paraître vides de sens. Mais les commentaires à côté sont essentiels, car ils nous permettent de prendre le temps de s’attarder sur une situation, de mieux la comprendre. »
Un tsunami vendeur d’images
Images, émotions : le contraste entre sentiment de révolte face à la misère humaine, et sentiment d’impuissance déstabilise le visiteur, touché. Piqué par un sentiment de révolte, contre l’inaction politique, contre le relais partiel de l’information des médias : car la sensibilisation de la population est l’élément indispensable au succès d’une opération humanitaire. Si l’aide française aux victimes du tsunami de décembre 2004 s’est élevée à 60 millions d’euros, le tremblement de terre survenu au Pakistan 10 mois plus tard, pourtant tout aussi désastreux, a mobilisé une aide internationale atteignant difficilement les 50 millions d’euros, 10 millions d’euros de moins que la seule aide française pour le tsunami… Il n’y avait ni touristes, ni images.
La relation média-public est en jeu : les journaux sont tributaires de leurs lecteurs, le sujet le plus « vendeur » est donc traité en priorité. Paradoxalement, plus les bénéfices dégagés par les ventes sont substantiels, plus le journal peut disposer de moyens matériels et humains afin de fournir au lecteur une meilleure couverture de toute l’actualité, et donc notamment des crises humanitaires.
« Il faut résister à cette dictature de l’information qui cherche à s’imposer à nous.»
Faim, détresse, peur, impuissance. Il est facile de calquer ces notions à toutes les crises humanitaires. Au journaliste d’éviter l’amalgame et la banalisation. « La presse est prise dans cette contradiction : l’actualité s’impose à nous avant que nous soyons sur place, donc nous devons lutter en permanence, résister tout en décryptant ces événements que les lecteurs (déjà informés de leur survenue) sont impatients de voir traités dans notre journal. En même temps, il faut résister à cette dictature de l’information qui cherche à s’imposer à nous. Nous sommes victimes de la faiblesse de nos moyens », a dit à ce propos Pierre Laurent, le directeur de la rédaction de l’Humanité.