Éviter les conflits ou veiller aux intérêts commerciaux ?
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juliette lemerleLe pétrole domine largement le commerce international et l'économie des pays industrialisés. Mais de quelle façon exerce-t-il son influence sur les conflits mondiaux et la politique étrangère ?
Dès qu’il y a du pétrole en jeu, des conflits se nouent. De l’attaque japonaise de Pearl Harbour à l’invasion américaine en Irak, le pétrole a toujours joué un rôle central, tour à tour à l’origine d’efforts diplomatiques et, plus souvent, d’agressions militaires. Ainsi, pendant la deuxième guerre mondiale, un des objectifs d'Hitler était de mettre la main sur les gisements de pétrole de la Roumanie, de la Perse et de la Russie, afin de posséder des réserves suffisantes pour envahir les États-Unis. De la même façon, l'attaque de Pearl Harbour est la conséquence directe de l’embargo imposé par les États-Unis sur les exportations de pétrole vers le Japon, qui avait sérieusement affaibli l’économie japonaise. En 1953, la CIA, dirigée par Kermit Roosevelt (petit-fils du président) organisait un coup d’État en Iran pour renverser le gouvernement de Mossadegh, avec qui les négociations sur le pétrole avaient échoué. Et la liste est encore longue.
Apaiser les tensions
Souvent à l’origine d’attaques militaires, le pétrole peut aussi apaiser les conflits politiques, quand les pays arrivent à un accord satisfaisant. Dans les années 1950, malgré le « péril rouge », le groupe pétrolier américain Occidental Petroleum était parvenu à un accord avec le leader communiste Nikita Khroutchev. Il achetait du pétrole russe à des prix défiant toute concurrence, pour le revendre ensuite à des prix bien plus élevés, sans que personne ne s’imagine qu’il s’agissait de pétrole communiste. Plus récemment, en Afghanistan, la diplomatie américaine et le groupe pétrolier américain Unocal faisaient la cour à Ben Laden pour obtenir des talibans qu’ils acceptent la construction d’un pipeline qui devait traverser le Turkménistan et leur pays jusqu’à la côte pakistanaise; et ce après avoir condamné Ben Laden pour ses attaques contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, en 1998.
Mais en Europe, quelle est l’influence de l’or noir dans les relations diplomatiques ? Depuis les accords de l’OPEP en 1971, le brut s’est payé en dollars, alors que l’Europe, la Russie et l’OPEP elle-même avaient tout intérêt à l’échanger contre des euros. Pourtant, personne n’a osé défier la suprématie de la devise américaine. Seul l’Irak a décidé de prendre ce risque en novembre 2000. Certaines analyses y voient une des causes principales de la déclaration de guerre des Américains. De là à expliquer l’opposition européenne à la guerre en Irak uniquement par des intérêts pétroliers ? Non. Les échanges avec l’Irak ne représentent que 0,2% des échanges commerciaux de la France, par exemple. De plus, cela aurait été plutôt bénéfique à la France et à l’Allemagne de rejoindre la coalition et d’être présent lors de la négociation des contrats pétroliers.
Du sang sur les mains
Il y a cependant un point sur lequel l’Europe fait passer ses intérêts pétroliers d’abord : les Droits de l’Homme. Pendant la dictature de Saddam Hussein en Irak, les entreprises hollandaises, britanniques, espagnoles, belges, allemandes, françaises et italiennes, pour ne citer qu’elles, étaient prêtes à négocier des contrats pétroliers avec le dictateur. Pourtant, tout le monde était parfaitement au courant des violations des Droits de l’Homme commises par le régime irakien. Par ailleurs, les échanges commerciaux entre l’UE et l’Iran n’ont cessé de se renforcer ces dernières années, exceptées les récentes tensions autour du programme nucléaire iranien. Pourtant, les Droits humains continuent d’être bafoués en Iran : la peine de mort s’applique aux mineurs et aux femmes accusées d’adultère ou d’autres « crimes moraux ». Récemment, une iranienne de 25 ans a été pendue dans un jardin public pour être en possession de cannabis. Plus la révolte gronde dans l’opinion publique iranienne, plus les exécutions se multiplient pour mettre fin aux dissidences.
Selon Shiva Dolatabadi, directrice d’une organisation de protection des Droits de l'enfant à Téhéran, il est très courant de voir punis de flagellation les filles et les garçons qui se fréquentent. Le dialogue politique entre les Etats européens et l’Iran n’a pas réussi à susciter de changements, alors que les relations commerciales prospèrent.
La ministre britannique Marjorie Mowlam était en visite en Iran en février 2002. Tout en louant les efforts du gouvernement dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogues, elle a critiqué les violations des Droits de l’Homme, notamment les atteintes à la liberté d’expression. Elle n’est pas la seule à exprimer cette opinion. Pourtant, lors de la rencontre entre Kamal Kharazi, ministre iranien des Affaires extérieures, et la Commission européenne, l’accent a surtout été mis sur le resserrement des liens commerciaux.
Un boycott européen du pétrole iranien pourrait sérieusement affaiblir l’économie de l’Iran, mais pour l’instant, les besoins en carburant priment sur tout le reste. En effet, alors que les réserves de pétrole s’épuisent, l’UE veut s’assurer un approvisionnement facile d’accès et économiquement abordable. Cela la pousse à agir prudemment, quitte à pêcher par excès de diplomatie. Reste à voir si, avec le développement de nouvelles sources d’énergie, les gouvernements arrêteront de faire des concessions, ou des guerres, pour le pétrole.
Translated from Resolving conflict or securing trade interests?