Eutelsat, défenseur des droits de l’homme… d’affaires
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À la veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, la chaîne de télé indépendante New Tang Dynasty (NTD) réclame la reprise de sa diffusion en Chine, interrompue le 16 juin dernier par l’opérateur satellitaire européen Eutelsat.
Ils sont environ 80, le mercredi 6 août, à avoir répondu présent à l’appel lancé par NTD-TV. Leurs pancartes, brandies ostensiblement devant le siège parisien d’Eutelsat, sont explicites : « Restaurez la diffusion de NTD-TV avant les Jeux olympiques ! » ou encore « Berretta : ne collaborez pas avec le Parti communiste chinois (PCC), rendez NTD au peuple chinois ! »
« Obtenir de nouveaux marchés »
Le 16 juin dernier, Giuliano Berretta, PDG d’Eutelsat, a interrompu la diffusion de la chaîne NTD-TV vers la Chine en prétextant une panne technique irréversible sur le satellite W5. La chaîne indépendante, proche du mouvement spirituel Falun Gong (interdit en Chine) et regardée par des millions de Chinois, n’hésite pas à s’attaquer aux sujets qui fâchent le régime de Pékin : droits de l’homme, répression au Tibet et enquêtes sur la face cachée des JO figurent parmi ses sujets de prédilection.
Le 10 juillet, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) dénonçait sur son site Internet la « décision préméditée et politique » d’Eutelsat, une « coupure arbitraire » destinée à peaufiner son image auprès du gouvernement chinois « pour obtenir de nouveaux marchés ». RSF publiait également le contenu d’une conversation téléphonique entre un responsable d’Eutelsat à Pékin et un interlocuteur se faisant passer pour un fonctionnaire du Département de la propagande : « C’est le PDG de notre société en France qui a pris la décision de faire cesser la diffusion de NTD-TV, aurait confié le premier, nous avons reçu des plaintes et des rappels du gouvernement chinois. »
« Ce n’est pas juste l’affaire des Chinois »
À deux jours des JO, NTD-TV espère encore régler le différend à l’amiable, et les intervenants se succèdent pour tenter une dernière fois de convaincre Giuliano Berretta de revenir sur sa décision. « C’est votre dernière chance, M. Berretta », proclame Joe Wang, le président de la filiale canadienne de la chaîne, en s’adressant directement à celui qui l’entend peut-être dans l’immeuble d’en face : « Vous avez une chance en or de devenir un héros du peuple et de la liberté d’information ! ». Michel Wu, ancien directeur de la rédaction en mandarin de RFI, n’hésite pas à comparer NTD aux appels radiophoniques du Général de Gaulle, et appelle le satellitaire européen à faire le choix de la « liberté », plutôt que celui de « la dictature et du mensonge ».
«Une bouffée d’oxygène, sans laquelle on étouffe»
Les intervenants sont bien conscients que la petite foule majoritairement chinoise réunie à Paris ne changera pas la donne, et qu’une mobilisation médiatique et internationale leur donnerait un avantage immense. « La liberté d’expression en Chine n’est pas juste l’affaire des Chinois, mais concerne le monde entier », affirme Joe Wang. « La Chine sera bientôt une grande puissance mondiale, c’est donc notre rôle de sauvegarder les libertés individuelles. Vous savez mieux que nous, en Europe, qu’une grande puissance sans liberté peut rapidement se transformer en dictature dangereuse », ajoute-t-il.
Joe Wang mentionne les dizaines de milliers de messages de soutiens reçus récemment, dont celui d’un téléspectateur qui aurait comparé la chaîne dissidente à « une bouffée d’oxygène, sans laquelle on étouffe ». Vincent Brossel de RSF et Jiang Wu, président du Parti démocrate chinois en France, dénoncent à tour de rôle « l’acharnement des autorités chinoises contre le mouvement Falun Gong » et les « crimes contre l’humanité commis par le PCC ».
Illusions perdues
La manifestation des défenseurs de NTD est révélatrice d’un problème plus général : celui de l’impact des JO de Pékin sur la situation des droits fondamentaux en Chine. Dans sa dernière édition, The Economist affirme que la progression des libertés politiques en Chine a lieu malgré les JO, pas grâce à eux. « Les Chinois sont bien plus libres aujourd’hui qu’il y a 30, 20 ou même 10 ans », affirme l’hebdomadaire britannique, mais les JO ont « durci le régime » et « les autorités ont harcelé les dissidents avec une plus grande vigueur ».
Les dirigeants européens, conscients que les JO seront avant tout une expression du nationalisme chinois, tentent d’apparaître fermes sur la question des droits de l’homme sans pour autant se froisser avec le régime de Pékin. Joe Wang, lui, en conclue qu’ « une fois de plus, on ne peut faire confiance au PC chinois », et assure qu’il continuera de se battre si le PDG Berretta campe sur sa position. Le prochain rendez-vous est déjà pris : ce sera au Trocadéro, à Paris, le jour de la cérémonie d’ouverture.