Euroscepticisme : des chiffres et de l'air
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C’est la rentrée. Et le chiffre se porte bien. Il est sympa en même temps, le chiffre. Après avoir aiguillé les jeunes parents en mal de fournitures dans les allées des hypermarchés, voilà qu’il s’exhibe en Une des journaux, tantôt pour exprimer la peur, tantôt pour signifier le scepticisme. Il en deviendrait presque insolent, le chiffre. Et dans tout ça, le lecteur est supposé déchiffrer.
« Quoi ? » Non rien.
Ce que l’on ne dit pas assez, c’est combien la vie peut parfois être moche lorsqu’elle est tangible. Lisez-donc. Hier, un lundi matin, Le Figaro fait sa Une sur « un sondage choc » en titrant « Les Français et l’Europe : le désamour ». La principale information de ce sondage IFOP pour Le Figaro ? 20 ans après la ratification du traité européen de Maastricht, les Français voteraient à 64% contre ce texte qui prévoyait – il est bon de le rappeler – l’instauration de la monnaie unique. Ce chiffre s’apprécie, selon la presse, comme « un signald'alarme » de l’euroscepticisme dans l’Hexagone. Mais sur la même page, le quotidien français affiche « 65 % des Français ne souhaitent pas néanmoins que la France abandonne l’euro et revienne au franc ». Alors quoi ? Ni l’euro, ni le franc. Le Sol-Violette peut-être ?
L’effervescence du vide
Le Monde a quand même le bon ton de souligner que dans ce sondage, 67% des sondés pensent que d’une manière générale, l’UE va dans la mauvaise direction. C’est énorme. Oui, mais pas autant que les Allemands qui pour le quotidien de référence français sont « encore plus sceptiques que les Français ». En effet, le chiffre a parlé pour quelqu’un d’autre. Selon une étude de la Fondation Bertelsmann, 65% des Allemands estiment qu’ils iraient mieux personnellement si leur pays avait conservé le deutschemark plutôt que l’euro. « Waaas ? » Le Teuton, ce parangon de rectitude presque aussi mathématique que le chiffre, ce modèle de vertu, ce timonier des grandes marées économiques serait prêt à abandonner le navire, le bébé et l’eau du bain ? Pas tout à fait. La même étude nous apprend en fait qu’un peu plus de la moitié des Allemands (52%) trouve à titre personnel que l’appartenance à l’UE est synonyme d’avantages alors qu’à peine un tiers (32%) y voit plutôt des inconvénients. Mais alors ça va !? Carrément les enfants ! Puisque la Fondation Bertelsmann nous dit aussi que les Français (et les Polonais, en passant) reconnaissent le rôle protecteur de UE et qu’elle favorise la paix sociale. « Les Français et l’Europe : L’AMOUR ? »
« Les sondages, c’est pour que les gens sachent ce qu’ils pensent »
Non. Bien sûr que non. Comme les études mentionnées supra, nous avons pris ce qui nous intéressait pour montrer ce que l’on voulait montrer. C’est un truisme, vous nous direz. Mais il s’agissait là, encore une fois, de souligner l’imposture et l’absurdité d’une recette qui a pour unique but de cuisiner une information. En quoi le sondage du Figaro est-il « un signal » ? Le niveau d’alerte était déjà on ne plus écarlate avant aujourd’hui non ? En quoi ce sondage est-il « choc » ? Le chiffre a juste « quantifié » ce qui apparaît depuis plus de 4 ans maintenant comme un cataclysme. « L’Ivresse des sondages » produit de nombreux flacons pour les médias qui aiment l’effervescence du vide. « Les sondages, c’est pour que les gens sachent ce qu’ils pensent », disait Coluche. Perso, on préfère les chiffres quand il s’agit de choisir entre un cahier petits ou grands-carreaux.
Photos : Une (cc) : mikeyangels/flickr (site officiel) ; Texte : © courtoisie du site revue2presse.fr