Européennes : chronique d'une soirée à Bruxelles
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Comment se passe une journée d’élection européenne à Bruxelles ? De la place du Luxembourg en passant par le coin fumeur du bar du Parlement européen, l’équipe bruxelloise de cafébabel était pour vous sur le terrain. Récit quotidien d’une journée presque ordinaire.
4h00 : Réveil en sursaut, alors que je me suis couché à 2 heures la veille pour travailler mon mémoire à rendre pour lundi. Grosse boule qui commence à pousser au fond ma gorge. L’angine arrive (voilà ce qui arrive quand on ne dort pas beaucoup et qu’on passe ses journées dans des salles climatisées). Allez hop, lait chaud au miel avalé et on espère que ça va passer.
8h00 : Mon réveil sonne pour cette longue journée. La boule a triplé de volume, donc allez, come on, on reprend un lait chaud et on commence à se mettre au soleil sur la terrasse pour bosser son mémoire.
9h00 : Sur ma terrasse, ça va un peu mieux et j’entame un de mes premiers cafés. Difficilement. Ça ne sera sûrement pas le premier.
11h00 : Je lève la tête de mes statistiques sur la transition écologique pour regarder un peu Twitter. Pays Bas : le PVV, l'extrême-droite de Geert Wilders, qui finalement ne fait pas de bons résultats (12,2%, ndlr), l’Irlande avec la gauche qui fait une bonne percée (23,09 % pour le Parti unioniste démocrate, ndlr), UKIP en passe de l’emporter en Grande-Bretagne (ce qui est arrivé puisque le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni a récolté 27,5% des suffrages, ndlr) mais les Verts pourraient aussi faire une bonne percée (en réalité, ils n'ont récolté que 7,9 % des voix, ndlr). Bref, on va arrêter de regarder, et on va bosser sa base de données.
7h30 plus tard...
18h30 : Arrivé au Parlement, je passe devant le QG du PPE (Parti populaire européen, de droite, ndlr). On commence à obtenir les résultats. Premières projections allemandes à -6 pour PPE, +3 pour le SPD. Les Verts se maintiennent, un député néonazi entrerait au Parlement. La participation serait en hausse un peu partout. (en réalite, l'Union chrétienne-démocrate de la chancelière Angela Merkel triomphera en récoltant35,5% des suffrages exprimés, ndlr)
19h30 : L’équipe de cafébabel au grand complet. Prête pour ce soir. On sort les bières et les chips place du Luxembourg.
20h00 : Sur l’herbe légendaire de la Place Lux, sous un beau soleil, en plein milieu du Brussels Jazz Marathon, les premiers résultats tombent. Franchement, une soirée électorale qui commence dans l’herbe, ça ne peut arriver qu’ici.
20h15 : Toujours Place Lux, on apprend les résultats du FN en France par un militant socialiste. 25%. Sans être surpris, on est quand même effarés. 25% …
21h20 – 22h00 : On déambule dans le Parlement, et là c’est le drame. Les envoyés de cafébabel se perdent (plusieurs fois mais chut). Trop de portes, d’ascenseurs et d’étages. Ce qui ne nous empêche pas d’arpenter les différents stands des partis, de voir Ska Keller, la première candidate à la présidence de la Commission européenne pour les Verts, et la première candidate à intervenir devant la presse. Les résultats quant à eux arrivent peu à peu et s’affinent.
22h10 – 23h : On se divise au sein de l’équipe. Une partie continue d’arpenter les couloirs du Caprice des Dieux (avec une petite interview de Jean Quatremer, journaliste à Libération, nda) et la Place Lux tandis qu'une autre continue de suivre la conférence de presse des grands partis. Côté conférence, les principaux présidents des groupes politiques sont unanimes, bien que la participation reste basse, elle augmente et c’est une première. Beaucoup ont une pensée pour les victimes de l’attentat antisémite qui a secoué le centre-ville de Bruxelles la veille. Bizarrement, tout le monde semble être content de ses résultats. Les éléments de com’ sont déjà bien rodés.
Pour Joseph Daul du PPE, même avec une cinquantaine de siège de moins, le parti européen de centre-droit reste en tête. Donc, c’est une victoire. Pourtant, l’Autrichien Hannes Swoboda, chef de file des eurodéputés sociaux-démocrates, ne l’entend pas de cette avis. Selon lui, c’est une défaite de la droite européenne. Côté libéraux et centristes, on est plutôt content de ces élections. Même chose chez les Verts où le fiasco français (le parti a récolté 8,9% des voix, ndlr) est compensé par d’autres victoires comme en Suède (là où le parti enregistre son plus gros score, 17,1%, ndlr). Mais si il y’a bien un vainqueur, c’est la gauche radicale qui augmente de 25% son score de 2009 et qui se place en tête en Grèce.
La Valse des candidats à la Commission
23h30 (enfin on croit) jusqu’à encore plus tard : Micropause et c’est au tour des candidats à la présidence de s’exprimer. Les estimations s’affinent. Le premier Martin Schulz, l’air contrit, visiblement peu satisfait du score des socialistes, le dit clairement : pas question de vendre son âme. Il reste dans la course pour être le candidat des parlementaires européens à la Commission européenne. Même si le PSE n’est pas en tête, les députés socialistes mettent trois conditions à une potentielle majorité : l’emploi des jeunes, la lutte contre la fraude fiscale et la fin de l’austérité. Voilà, c’est dit. Il faut du changement, et donc il faut entre les lignes, choisir Martin Schulz pour être à la tête de la Commission à partir d’octobre 2014.
Vient le tour de Guy Verhofstadt, président des libéraux au Parlement européen et candidat pour ces derniers à la Commission. Il est ce qu’on pourrait appeler le « faiseur de roi » ou en l’occurrence le « faiseur de président de la Commission » de par sa position de troisième homme dans le scrutin. Il sait que ses chances pour occuper le treizième étage du Berlaymont (vous savez, le gros bâtiment de la Commission européenne, place Robert Schuman), sont presque inexistantes. Mais il espère toujours avoir, en récompense de ses bons services de troisième force politique au Parlement européen, d’en devenir justement son président. Refus presque poli de prôner cash la grande coalition avec le PPE. Il faudrait un accord programmatique.
Encore plus incisive, Ska Keller, sur le podium de la salle de presse, indique que les Verts ne seront dans la majorité qu'à condition de dessiner la vraie ambition de se battre pour la transition écologique. Même ton pour la GUE (gauche unitaire européenne, ndlr) avec Alexis Tsipras qui veut se battre pour une Europe de la solidarité et non de l’austérité.
Puis, Jean-Claude Juncker, le candidat pour le PPE, débarque. L’ancien Premier ministre du Luxembourg, arrive de manière assez arrogante pour être honnête et propose une grande coalition du Parlement. Mais compte tenu des discours précédents, on voit mal comme il pourrait y arriver rapidement. Wait and see donc.
01h00 : C’est la fin de la soirée électorale, Martin Schluz attend les résultats de l’Italie où le Parti démocrate a réalisé un score avoisinant les 40% (33 en réalité, ndlr). La salle de presse se vide, la cantine ferme ses portes. Je pars griller une cigarette dans le fumoir du bar du Parlement.
01h30 : Plus de métro, donc au lieu de marcher longtemps, autant prendre son courage à demain, prendre une bière et commencer à écrire en salle de presse. Car après tout, qui a dit qu’il fallait dormir ? Il se murmure qu’une dernière estimation sera donnée à 4 heures du matin, puis à 6 heures. Je reste jusqu’à 4 heures.
4h30 : On attend les dernières estimations qui devraient normalement rééquilibrer le rapport de force entre les socialistes et les conservateurs. Prévus pour 4 h, ils ne sont toujours pas là.