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Europa-Europa

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Europa-Europa pourrait être le titre d’un film rappelant celui d’Elia Kazan s’il ne touchait pas un point névralgique du problème même : l’Union européenne peut-elle se réclamer de l’Europe comme les Etats-Unis ont su le faire quant à toute l’Amérique, car n’en déplaise à notre sensibilité, Monroe l’a emporté sur Vespucci ?

Qu’est-ce à dire alors de l’identité européenne, sur un continent qui n’en est pas un, sur cette excroissance asiatique, sur cette péninsule, ce cap, ce pic, que dis-je sur ce roc, escarpé, morcelé et pourtant si ouvert. A tout prendre, il est aisé de dire d’ailleurs que les territoires que sont la Sibérie, les Amériques surtout ; l’Australie bien sûr, sont historiquement européens.

Une identité, aussi superficielle et humaine qu’elle soit, nécessite une conscience partagée, l’appartenance reconnue de chacun de ses membres à un même groupe, à un bloc en quelque sorte, bref à une équivalence huntingtonnienne dans un monde fukuyamien. Mais les conflits ont empêché les réseaux comme celui du Commonwealth de se constituer et la seconde guerre mondiale (et plus avant la première guerre, européenne avant tout) a fait montre que ce qui a divisé l’Europe l’a emporté sur ce qui unissait. Il était une fois un paysan polonais poméranien rencontrant mister Smith de la City pour se voir notifier le montant des baux fermiers pour équilibrer la production de camembert normand…

Quand la politique prime sur la géographie

Il n’y a d’ailleurs pas de limites géographiques définies et claires, même s’il fallait que l’Union s’en impose. C’est politiquement que tout se joue, aussi des projets que l’on veut se donner et des limites que l’on se fixe. Pour Metternich, la Hongrie est asiatique, pour les diplomates du XXème siècle l’empire ottoman et l’empire russe ont une dimension asiatique, ce que refusaient Brejnev et Atatürk ; d’autres comme des historiens grecs et turcs comme Dimitri Kistikis parlent de zones intermédiaires, quand l’histoire ne décide pas pour nous puisque entre 1945 et 1989, l’Elbe constituait alors la limite orientale.

Et tout se bouscule : Israël se dit intéressé, en 1981 la Grèce orthodoxe fait son entrée joyeuse qui sera suivie 19 ans après par l’adoption de l’Euro, le roi du Maroc (commandeur Alawite des croyants) évoque sa candidature et se fait suivre par la Turquie anatolienne turque et musulmane… Ah Méditerranée, mare nostrum et mère de tout européen, tu as accueilli Europe et Zeus et tu es partie en nous laissant, nous tes enfants, pour créer une histoire commune sans mode d’emploi prométhéen.

L’identité européenne serait-elle ce leurre mythologique que d’aucuns décrient comme le refuge d’un monde post-moderne aux entités Etats-nations dépourvues de tout remède contre l’acupuncture mondialiste qui les perce à tous flancs ? Les symboles du romantisme beethovénien de son hymne à la joie (économique?), de la perfection supposée des 12 étoiles mariales de l’étendard européen ne seraient-ils qu’un rappel pseudo-inconscient du côté mythique qu’entoure le taureau prodigue et son amour pour la belle ?

Un sentiment européen ?

Il est difficile de l’approuver entièrement. Et si, à défaut de parler d’identité l’on parlait de sentiments et de caractères communs sans y intégrer une charge émotionnelle existentielle ?

Des mycéniens et des grecs surtout, nous découvrons la raison, ce logos éternel qui n’empêche pas la ciguë de couler. Avec le christianisme, nous découvrons d’Orient (de secte qu’il était) le sens de l’égalité entre les hommes et les femmes, entre tous les habitants de cette terre sans élection d’un peuple ou d’un groupe, d’une famille. Ce sens de l’universalisme, propagé par l’empire romain et son empereur Constantin, institutionnalisé par l’édit de Caracalla de 212 et diffusé plus à l’Ouest par Clovis et surtout par Charlemagne dans la mitteleuropa du futur Saint Empire Germanique. Et puis la miséricorde, la charité, comme elle existe en tant que l’un des cinq grands piliers de l’Islam et qui traduit ce regard bienveillant que l’on doit avoir sur l’Autre, au-delà des limes artificiels et flous de la civilisation, comme la sanction morale de l’inquisition le révèle. En cela, les propos de Valery Giscard d’Estaing ne rappellent que trop ce temps de l’Europe cloisonnée et « culturicide », convertissant à ses valeurs les pays qui cherchent à grimper ses marches. De l’Empire romain, nous devons aussi ce besoin d’échanges, cet universalisme juridique du système de légalité, des saxons le libéralisme économique et politique (puisque, comme dit Huntington, le big mac ne remplacera jamais la Magna Carta) et la Renaissance renoue avec le passé pour nous obliger à constamment nous remettre en doute, doute qui devient alors fondamental et nous renvoie aux péripatéticiens (pour nous faire remâcher sans cesse notre histoire, notre rocher à nous). Ce doute se consolide avec la dialectique hégélienne de dépassement des contradictions et donc de remise en cause de chaque thèse. Et ainsi les romantiques, se lançant contre la Raison, suivies des surréalistes et de Foucault enfin : la vérité est multiple, le monde post-moderne, les identités essentiellement artefacts.

Alors si l’on devait conclure, pour ne laisser aucun doute à chacun de croire qu’ils peuvent et de toute façon vont douter, il faudrait affirmer, avec Fernand Braudel, “qu’il n’y a pas une Histoire de France, mais une histoire de l’Europe, qu’il n’y a pas une histoire de l’Europe, mais une histoire du Monde”, ceci faisant écho à l’idée de politique de civilisation d’Edgar Morin. Son anthropolitique se couple d’ailleurs dans son schéma avec le dialogisme européen qui en est sa substance. Il s’agit bien de ce mouvement conflictuel et enrichissant d’échanges entre entités pensantes, dans une tension de type yin et yang qui secrète “chez nous” une certaine identité. Il faut y voir, en tous les cas, une construction permanente et contenant tous les opposés qui ne se fera que par confiance et dialectique.

“La France est ma patrie, l’Europe est mon avenir”.