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Eurocorps : vers une armée européenne ?

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Société

Strasbourg accueille le plus européen des QG : le siège de l’Eurocorps. Né voilà 15 ans, ce corps d’armée est la seule organisation militaire européenne régie par un traité international. L’Eurocorps, symbole d’une Europe de la défense puissante ? Dans la capitale alsacienne, les avis divergent.

Direction la banlieue Sud de Strasbourg, le quartier Aubert de Vincelles : un grand terrain vague, une pancarte « terrain militaire- accès interdit » puis un grand bâtiment dans le brouillard. Ici pas de militaires enchainant les pompes, pas de gaillards musclés qui escaladent des filets et des murs abruptes… Ma déception s’envole vite à la rencontre d’un gradé à l’accueil : il me parle français avec un fort accent. Un coup d’œil à l’écusson sur son épaule me confirme qu’il est Espagnol. Plus tard je croiserai une Allemand, un Français et un Belge… Bienvenue au quartier général de l’Eurocorps ou « Corps européen » : environ 1000 militaires qui gardent l’uniforme de leur pays d’origine mais arborent le même béret et pratiquent l’anglais comme langue de travail.

Il y a quelques mois, les troupes se sont rassemblées pour fêter les quinze ans du quartier général : « Nous sommes le premier corps multinational », précise fièrement le Colonel Raúl Suevos, directeur de la communication de l’Eurocorps : « Nous avons une place naturelle en tant que pionnier. » Le projet démarre en 1992 sur une initiative de la France et de l’Allemagne rejointes successivement par la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg, dorénavant les cinq nations-cadre du corps d’armée. Pologne, Autriche, Grèce, Turquie agrandissent par la suite les effectifs. « Pour l’instant cela représente une force mobilisable d’environ 60 000 hommes », poursuit le Colonel. En 2009, les nouvelles recrues sont la Roumanie, l’Italie et… les Etats-Unis.

L’ombre de l’Otan

« L’Europe de la défense oui, mais la défense de la vie des gens, pas avec des armes »

Le corps européen apparait comme la preuve concrète de l’évolution de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Le 5 juin 2008, le Parlement européen accorde toute sa légitimité à l’Eurocorps en adoptant avec une forte majorité un texte qui le place comme force permanente sous le contrôle de l’Union et invite tous les Etats-membres à y participer. Mais c’est le récent traité de Strasbourg qui donne ses lettres de noblesse à l’Eurocorps en officialisant son statut au niveau international. L’Europe de la défense commencerait donc à prendre forme, faisant oublier l’échec du projet de Communauté européenne de défense (CED) il y a 60 ans. Selon l’Eurobaromètre de 2008, 64 % des Européens pensent que les décisions de défense et politique étrangère devraient être prises en commun.

« Nous sommes peut-être le corps qui a la capacité technique la plus avancée, commente le Colonel Suevos, un des seuls quartiers généraux breveté comme QG de haute disponibilité pour l’Otan. » Si l’Eurocorps fait preuve d’une réactivité exemplaire, possède-t-elle toutefois une place sur la scène stratégique ? L’ombre des Etats-Unis plane sur l’Europe de la défense, et la prépondérance de l’Otan dans les affaires de l’Europe fait douter de l’autonomie de la politique de défense européenne. Mais le but n’est pas de se substituer à l’Otan, explique le Général Pedro Pitarch, commandant actuel de l’Eurocorps : « Personne n’aura l’idée de défier l’utilité de l’Otan. Il n’est pas question de choisir entre la politique de défense européenne et celle de l’Otan. C’est les deux ensembles, pas l’un contre l’autre. » Le Colonel Suevos me confirme : « Nous travaillons avec l’Otan mais ce sont les nations cadres qui décident. »

Pour une Europe militaire

Le chemin est encore long vers un consensus européen concernant la PESD. Frileuse, la Grande-Bretagne, grande force militaire européenne, s’imagine assez mal se détacher de son partenaire américain. Aucune participation de sa part à l’Eurocorps. Une Europe militaire ? Est-ce la volonté des citoyens européens ? Les sondages semblent aller dans ce sens : selon l’Eurobaromètre spécial élections européennes de 2009, les Européens pensent à 36 % qu’une politique de sécurité et de défense permettant à l'UE de faire face aux crises internationales devrait être prioritaire (avant une protection renforcée du consommateur et de la santé publique ou une lutte efficace contre le changement climatique)

C’est dans un endroit un peu plus chaleureux que je rencontre Roger Strelbicki, le président de l'association du Mouvement de la Paix Bas Rhin. Sur son revers de veste, il porte un pin’s en forme de colombe, à l’image de son engagement pacifiste. Roger Strelbicki est contre l’industrie de l’armement, contre l’Eurocorps et l’Otan, selon lui « des instruments de guerre ». Il est pour la suppression du budget militaire, pour la disparition des armées, pour le désarmement nucléaire, pour « l’Europe de la défense oui, mais la défense de la vie des gens. La défense de la vie n’est pas une défense avec des armes », développe-t-il, déplorant la passivité des partis politiques « pas capables de se battre jusqu’au bout ».

Vers un Erasmus dans l’armée ?

Regroupé avec diverses associations, le Mouvement de la Paix faisait parti du collectif anti-Otan de Strasbourg. Il revendique des manifestations pacifistes, et dénonce : « Les CRS ont laissé faire les casseurs et c’est nous que l’on a accusé et qui avons écopé. Ils ont tout fait pour empêcher le déroulement de notre manifestation : humiliations, contrôles des papiers, bombes lacrymogènes… Le véritable adversaire pour les dirigeants des Etats guerriers, c’est le mouvement anti-guerre qui grandit, et est en mouvement continuel. C’est pourquoi ils font tout pour nous discréditer. » L’augmentation du budget militaire, la création d’un marché commun de l’armement, l’investissement dans la recherche : ce ne doit pas être ça les objectifs de l’Europe future selon cette association sexagénaire.

« Les vrais ennemis ce sont les catastrophes naturelles »

Sandrine Bélier, tête de liste du rassemblement Europe Ecologie pour la circonscription Est en France, considère, elle, l’Europe de la défense comme une question secondaire : « Les vrais ennemis ce sont les catastrophes naturelles. » « Ce n’est pas d’une force armée dont on a besoin. Il faut repenser une défense civile propre à l’UE. » Ainsi les Verts prônent la création d’un Corps civil européen de paix intervenant en amont, pour prévenir les conflits. Armée ou pas armée, il y a un projet qui est bien en marche : celui de la création d’un Erasmus militaire, pour « former les chefs militaires de demain à comprendre, apprécier, aimer et défendre ce que nous avons en commun, comme ce qui nous distingue », explique Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants.

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