Euro 2012 : histoire du Stade national de Varsovie
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Gaëlle FourréIl y a deux jours, Varsovie a inauguré avec un concert pop son nouveau Stade national qui accueillera le prochain Euro 2012. Un nouveau bâtiment coûteux et controversé, qui éclot sur la rive de la Vistule, au beau milieu d'un terrain chargé d'histoire.
Sur le vaste chantier poussiéreux, on entend le halètement des machines de construction. Au sud de l'ovale rouge et blanc du stade, là où notre visite débute, se dresse, tel un corps étranger entre l'excavatrice et la bétonnière, la statue de trois sportifs hyper-musclés. Leurs visages anguleux et décidés sont tournés en direction de l'ouest : « On les appelle Les Fugitifs de l'Est aux pieds nus » raconte Jarek Dąbrowski, guide depuis 23 ans et Varsovien depuis 72 ans. Jusqu'au début du chantier, en 2008, la statue décorait l'entrée sud du « Stade du 10ème anniversaire du Manifeste de Juillet », qui a été érigé peu après la Seconde Guerre mondiale sur les ruines d'une Varsovie dévastée. « C'était la pierre tombale du cimetière qu'était la ville » explique Dąbrowski. La construction a eu lieu en raison d'une manifestation de propagande socialiste : le 5ème Festival mondial de la Jeunesse et des Étudiants.
Paradoxalement, le stade « X-lecia » (l'abréviation du nom complet, « Dziesięciolecia», ndlr) s'est rendu célèbre pour les actes de protestation contre le régime dont il a été le repère: en 1968, lors d'une fête communiste pour les récoltes, le professeur de philosophie Ryszard Siwiec, en signe de protestation contre la répression sanglante du Printemps de Prague exercée par les troupes du Pacte de Varsovie, s'est publiquement immolé par le feu. L'évènement fut étouffé, il n'y en eut pas un mot dans les journaux. Juste après la réunification, le cinéaste Maciej Drygas dédia au martyr un hommage tardif avec le documentaire Entendez mon cri.
Stade Solidarnosc
Le stade a aussi été le théâtre d'un autre évènement légendaire critique envers le régime : « En 1983, quand notre pape a célébré une messe dans le stade, il a été accueilli comme une popstar » raconte Jarek Dąbrowski, qui était l'un des 1,5 millions de spectateurs d'alors. « A chaque fois que les drapeaux Solidarnosc, apportés en cachette, étaient brandis, les cris de joie éclataient. Les gradins n'étaient plus qu'une mer de drapeaux rouge et blanc. » A l'époque, le pape Jean-Paul II a donné sa bénédiction au syndicat interdit. Il soutenait le combat de ce dernier pour la démocratie et l'indépendance, obtenues six ans plus tard.
Dans les années 1980, tout comme le système politique, l'état du gros œuvre du stade, qui était sorti de terre sur la rive de la Vistule en l'espace de onze mois, commença à se dégrader. De surcroît, la construction présentait des défauts d'ordre pratique: du fait de la longueur du trajet entre les vestiaires et le terrain, la durée de la mi-temps des matches de football devait être doublée. Il n'y avait pas d'éclairage artificiel : « Des voitures, avec leurs phares allumés, étaient garées tout autour de la piste » poursuit Jarek Dąbrowski. « Avec les débris issus de la ruine, on aurait pu remblayer une colline ! » s'emballe le guide. Sa proposition a fait la Une du journal local, Super-Express, mais a été rejetée par la ville. Celle du groupe d'architectes qui voulait, eu égard à son histoire et son architecture, classer le stade monument historique a rencontré tout aussi peu de succès. Suite à la nomination de la Pologne et de l'Ukraine comme pays d'accueil de la Coupe d'Europe de foot, il a été décidé de bâtir un nouveau stade sur les fondations de la ruine.
Du « Marché russe » à l'objet de prestige
« On pouvait emprunter des films russes, poursuit-elle, et, dans des bars minuscules, on trouvait des plats vietnamiens, des cocktails de graines et de fruits, un truc dingue. »
Le bâtiment n'a pas été le seul à pâtir de cette décision : au début des années 1990, un marché à ciel ouvert avait pris place sur l'espace qui entoure la ruine et dans la couronne du stade. Les marchands venaient de Pologne, des pays limitrophes situés à l'est et du Vietnam. Le nom d'origine, « Grand bazar de l'Europe », s'est vite transformé en « Marché russe ». Tout ce qui pouvait, d'une manière ou d'une autre, se vendre, se transformait ici en dollars. « Des armes, des chiens, des machines à laver... On pouvait se procurer à bon marché tout ce qui existe au monde » raconte une Varsovienne. Les trafiquants susurraient : « Vodka » ou « Cigarettes » et proposaient des produits qu'ils avaient fait passer en fraude à la frontière orientale. « Un vendeur murmurait : « N'aime que moi ! » Il voulait me vendre une copie piratée d'un film qui portait ce titre » se rappelle l'étudiante Ewelyna. « On pouvait emprunter des films russes, poursuit-elle, et, dans des bars minuscules, on trouvait des plats vietnamiens, des cocktails de graines et de fruits, un truc dingue. » Le bazar manque à Ewelyna : « Il n'y a rien d'autre en Pologne qui ressemble à ça » dit-elle. Le nouveau stade n'est à son avis qu'un objet purement prestigieux.
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Sur le côté nord du chantier, devant l'entrée de la gare du Stade, se trouvent quelques étals couverts de bâches en plastique, derniers vestiges du marché. Les acheteurs jouent des coudes dans les allées, où des cartons sont étalés sur la boue. Des « Papieroski » (cigarettes) me sont proposés en cachette. Des jeans de marque contrefaits et des pull-overs en polyester flottent au vent comme des drapeaux. Sur un barbecue, il y a du café et des côtelettes. Une commerçante explique que les dernières traces du marché disparaîtront elles aussi quand la Coupe d'Europe commencera. Comme des milliers de marchands, elle devra alors chercher un nouvel emploi : « Au bazar, il était facile de trouver du travail » estime-t-elle. Certes, des postes alternatifs dans le centre commercial ont été proposés, mais le complexe est trop petit et se trouve assez loin.
« Alors que, attirés par la Coupe d'Europe de 2012, les regards du public sont tournés vers la Pologne, le stade doit être représentatif. Le bazar de l'Europe était un tas d'ordures » estime un jeune homme en train d'attendre le bus. « Regardez-moi ça ! » m'invite-t-il en faisant du bras un geste qui englobe les stands rudimentaires, les vendeurs et les pull-overs en polyester. Tout comme lui, de nombreux Varsoviens se réjouissent que les « Budasy », les sagouins, partent enfin. « Je suis fier de notre nouveau stade, dit le jeune homme. C'est un symbole qui montre que la Pologne est aujourd'hui un pays européen. » A l'arrière-plan, le stade aux couleurs nationales se dresse contre le ciel. Vu ainsi, il fait l'effet d'un OVNI venu d'un autre temps.
Photos : Une (cc)Zaykoski/flickr; Texte: ©Johanna Gohde; Marathonlauf (cc)Socialism Expo/flickr; Video: (cc)Youtube
Translated from Neues Polen, neue Arena: Geschichten aus dem Warschauer Nationalstadion