EU debate 2014 : quand les interprètes volent la vedette
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Véronique MazetBien que le premier débat entre les candidats à la présidence de la Commission européenne n’ait été ni passionnant ni révolutionnaire, il a mis en lumière les problèmes d'interprétation lors des conférences dans les institutions européennes, souvent perçu comme secondaire. Houston, je pense que nous avons un problème.
J’espérais avoir la chance de regarder le débat de ce lundi 28 mai en anglais, parce que la maîtrise de cette langue est, pour moi, un facteur sur lequel j'aurais pu juger les candidats. Malheureusement, je n’ai pas pu parce que je vis en France, où presque tout est doublé en français. Et comme je ne pouvais pas vraiment entendre ce que disaient les candidats en anglais, j'ai eu la chance de pouvoir observer attentivement le travail des interprètes. Et je dois dire qu’ils ont fait du bon boulot. Mais ils m’ont aussi fait tellement rire, que je ne pouvais pas me concentrer sur le contenu du débat.
La raison est simple : comment se concentrer sur ce que dit la jeune, énergique et fraîche Ska Keller quand à la place de sa voix on entend celle très snob d'un homme plus âgé ? Comment se concentrer quand on voit une jeune femme qui probablement commence ses journées de repos par un jogging, puis des fruits frais sur une terrasse ensoleillée, et qu'à la place de sa voix nous entendons celle d’un homme que nous imaginons tous les soirs déguster un Château Lafite Rothschild Pauillac 1996, sous la douce lumière d’une lampe verte qui éclairerait la Bibliothèque de la Pléiade ? C’est comme écouter une mamie qui lirait Trainspotting pour endormir son petit-fils de cinq ans.
No country for young men
Mais il n’y avait pas qu’un seul traducteur. Si je ne me trompe pas, ils étaient cinq, quatre hommes et une femme. Et bien que je ne le parierais pas sur ma vie, aucun n’avait moins de quarante ans. Y a-t-il une place pour les jeunes Européens diplômés ? Quand j’ai choisi d’étudier la traduction et l’interprétariat en 2007, ils nous ont dit que c'était un domaine avec beaucoup de débouchés en Europe. Vraiment beaucoup. Ils ne nous ont pas dit qu’être jeunes était, dans ce cas précis, un inconvénient.
Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que les interprètes de lundi n’étaient pas neutres dans leur travail. À un moment, je me suis demandé si je percevrais les candidats différemment si j’étais aveugle et que je pouvais juste me fier à la traduction. J’ai réalisé que oui, parce qu' à certains moments, les interprètes influençaient le discours avec leur intonation. Ce qui jouait en la faveur du flegmatique Jean Claude Juncker, mais changeait complètement la performance de Ska Keller. Quand Guy Verhofstadt gesticulait (et cela s’est souvent produit), une personne sensible aurait fait une crise cardiaque, parce que l’interprète élevait le ton de sa voix si haut qu'il aurait pu briser des miroirs. L'interprétation de conférence est-elle un one-man show qui a le droit d’exister indépendamment du discours originel ? Que se passe-t-il si les réalités linguistiques de l’orateur et de l’interprète finissent par se contredire juste à cause de l’intonation dans la voix de l’interprète ?
CE N’EST PAS NOTRE SHOW
Oui, je me suis peut-être un peu fait plaisir avec une provocation innocente, mais je pense que les choses sont injustes sur le marché de l’emploi européen. J’ai étudié l’interprétation à l’université et les professeurs ont déployé un effort considérable pour nous enseigner que nous devons être neutres avant tout. Que peu importe à quel point nous sommes égocentriques, ce n’est pas notre show. Que nous devons être responsables de notre interprétation, non seulement au niveau des mots, mais aussi de la prosodie, de l’intonation et de l’accent lexical.
La question que j’ai posée au début refait surface ici : pourquoi ne pas embaucher de jeunes interprètes, qui passent plus de temps aujourd’hui à chercher du travail qu’à exercer leur activité ? Il est peut-être temps de faire place à la relève ?
Translated from Eu debate 2014: when interpreters steal the show