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Étudiants croates : « Ce n'est pas l'Europe qui nous sauvera »

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Société

Un an avant leur entrée au sein de l'Union européenne c'est avec beaucoup de scepticisme que les jeunes croates envisagent leur avenir professionnel. Reportage à Zagreb pour prendre la température des étudiants.

Croatie, derniers jours avant les vacances scolaires. Sur la place centrale Ban-Jelačić dans le centre de Zagreb, une grande estrade a été installée. Rubans verts noués dans les cheveux, les filles des petites classes chantent des contines. Quant aux élèves des grandes classes, ils défilent avec une fierté non dissimulée dans des créations extravagantes qu'ils ont fabriquées à partir de CDs ou de boutons. D'autres encore, dansent sur des chorégraphies compliquées sur fond de vieux tubes tel que « Gangsta Paradise » de Coolio. Une ambiance bon enfant où les parents prennent des photos et les enseignants offrent des boissons. Mais qu'adviendra-t-il de ces jeunes qui auront, d'ici quelques jours, leur bac en poche?

La Croatie, pays de 4,3 millions d'habitants, compte 7 universités publiques, 13 établissements d'enseignement supérieurs et 28 établissements privés à vocation professionnelle. Cela représente une multitude de disciplines parmi lesquelles choisir. En 2001, le gouvernement croate a signé la réforme de Bologne. En conséquence, des réformes sans précédent de l'enseignement supérieur furent mises en œuvre afin de s'aligner sur les normes de l'UE. C'est l'institut croate pour l'enseignement supérieur qui est chargé de garder un œil sur la qualité des enseignements, sur la politique de transparence des établissements, sur l’accès à la formation, ainsi que sur l'attribution de bourses conséquentes.

Pourtant, peut-on qualifier cette situation de rêvée pour nos jeunes croates ? Selon les dires de Matija, 25 ans, étudiant en communication aux cheveux longs « C'est en masse que des jeunes gens hautement qualifiés sortent des universités mais au final, peu d'entre eux trouveront un emploi. » Voici la donne qu'il faut changer : universités trop nombreuses + frais d'inscription quasi inexistants + bourses trop généreuses = diplômés trop nombreux pour peu d'emplois qualifiés.

Selon l'Agence Croate de l'Emploi, (Hrvatski zavod za zapošljavanje – HZZ), le chômage des jeunes était de 45% en 2011. En outre, 47% des jeunes diplômés croates sont contraints d'accepter un emploi dans une branche autre que la leur. Malgré tout, Matija voit encore des perspectives d'emploi. « L'avenir n'est pas si noir que ça. On verra bien ce qu'il nous réserve », dit-il, tout en se roulant une cigarette. Il vient de décrocher un poste de bibliothécaire grâce auquel il se voit acquérir l'expérience professionnelle dont il a besoin dans sa branche (ou dont il a besoin pour trouver un poste dans sa branche)

Expérience professionnelle : une expression qui est sur toutes les lèvres et dans toutes les discussions portant sur l'emploi en Croatie. Mais là encore, voilà la donne - ou plutôt le cercle vicieux – qu'il faut changer : pas d’expérience – pas d'emploi. Pas d'emploi – pas d’expérience. Un obstacle qu'ils devront surmonter comme l'ont fait leurs homologues européens – la plupart s'en sortent souvent grâce à des stages mal payés. En Croatie, s'y ajoutent les contacts personnels et les relations.

Expérience professionnelle + Vitamine B = Un job ?

« Certains employeurs embauchent uniquement les personnes qu'ils connaissent. Leurs voisins, camarades de classe, membres de leur famille », se plaint Klara, 28 ans. « Ce sont rarement les qualifications ou compétences qui sont l’élément décisif mais plutôt la ou les personnes que l'on peut connaître. » La traductrice a trouvé un stage rémunéré à la Cour des comptes européenne de Luxembourg. En plus de ça, elle finit une maîtrise en sciences économiques qui viendra compléter son cursus. Mais c'est à l’étranger que Klara se voit faire carrière. Traduisant le français au croate, elle a de bonnes chances de trouver un poste au sein des institutions européennes, l'adhésion de la Croatie à l'UE étant imminente. Cependant, elle trouve normal de devoir passer le même examen d’entrée que tous les autres candidats, afin de s'assurer un emploi une fois son stage terminé. Selon elle, une des raisons pour laquelle les employeurs croates n'emploient que des personnes qu'ils connaissent vient de la méfiance qui s'est installée au sein de la population depuis la guerre des Balkans.

Une lutte de tous les instants qui laisse des traces

« C'est une lutte de tous les instants et je n'ai plus de forces. »

C'est une théorie qui n'a pas été prouvée scientifiquement mais c'est le sentiment qui ressort de toutes les conversations. L’impétueuse Margita, 35 ans, les ongles au vernis bleu violet, déplore ce manque de confiance, qui, selon elle, a eu un impact sur le marché du travail. Elle a abandonné l'espoir de trouver un poste de technicienne de laboratoire, sa profession d'origine. Diplômée en 2000, elle a, depuis, travaillé en tant que vendeuse, hôtesse sur des bateaux de croisière américains et pour le groupe d'assurance Allianz.

« C'est une lutte de tous les instants et je n'ai plus de forces. Je suis célibataire, sans enfants, parce que le temps, l'espace et l'argent me manquent pour fonder une famille. »Trouver un emploi et être heureux est un combat qui vous marque. « Parfois, j'ai le sentiment que je pourrais faire plus mais ça a du mal à sortir. » Elle a des amis qui ont adhéré à un parti politique - juste pour se faire des contacts professionnels. En ce qui la concerne, il n'en est pas question. Bien que bien intentionnées, les mesures politiques ne sont pas adaptées pour résoudre la situation. Le gouvernement a finalement compris qu'il était difficile pour ces diplômés de trouver un emploi.

En avril de cette année, le ministre du Travail, Mirando Mrsic, a proposé la mise en place d'un programme qui devrait aider les jeunes diplômés à acquérir leur première expérience professionnelle. Grâce à celui-ci, ils devraient décrocher un emploi au sein de la fonction publique, mais aussi au sein d'entreprises privées alors que c'est l'État qui est supposé s'acquitter des charges sociales. Pourtant, 220 euros c'est le salaire mensuel de ces stagiaires. Ce qui représente une misère quand on sait que selon l'Institut croate des statistiques, le salaire net moyen serait de 5.499 HRK - 917 € (données de mars 2012). Cette indemnisation de stage est aussi une proposition qui a déclenché une vague d'indignation parmi les médias croates. « Une plaisanterie », c'est de cette façon que la journaliste Ana, 27 ans, a qualifié ce programme. Ces diplômés seraient employés en tant que stagiaires mais ne se verraient pas offrir – comme ils le pensaient - le poste après une année de bons et loyaux services . Ils seraient en réalité remplacés par la nouvelle vague de diplômés, main d'œuvre toujours moins chère.

L’entrée au sein l'UE en juillet 2013 peut-elle changer quelque chose à une situation difficile ? Sur le campus de l'université, où les étudiants venant d'autres universités viennent déjeuner le weekend, on est plutôt sceptique : l'Europe, notre sauveur ? Non, selon Matija. « Avec une démocratie âgée de 20 ans seulement, l'unique préoccupation de la Croatie et des Croates reste pour l'instant eux mêmes », nous confie Petra. « La Croatie a mis si longtemps à obtenir son indépendance qu'une dépendance politique et économique n'est pas envisageable », rajoute Ana. « La crise financière a fortement ébranlé la confiance dans l'Union européenne et sa stabilité. Personne ne peut garantir que la Croatie ne connaitra pas le même sort que la Grèce. Et pourtant, la mobilité des personnes et des capitaux est indispensable à notre économie. Sans l'Europe, la Croatie s’écroulerait comme un château de cartes. »

Cet article fait partie d'une série de reportages sur les Balkans réalisée par cafebabel.com entre 2011 et 2012, un projet cofinancé par la Commission européenne avec le soutien de la fondation Allianz Kulturstiftung.

Photos : Une (cc)Pliketi Plok/ flickr/ pliketiplok.com/nedjelja; ©Julien Faure Photo pour Orient Express Reporter II par cafebabel.com

Translated from Kroatische Studis sagen „Europa wird uns nicht retten“