Etre femme et Rom en Europe Centrale et de l'Est
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En Hongrie, les Roms fuient Gyöngyöspata par peur de la violence des milices d'extrême-droite. C'est donc dans la capitale hongroise que le Lobby Européen des Femmes a organisé une conférence sur les femmes Roms en Europe centrale et de l'est. Objectif : alerter les décideurs européens sur la double discrimination subie par les femmes Roms. Entretien avec Brigitte Triems, la présidente du Lobby.
Cafebabel.com :Quels sont les préjugés auxquels les femmes Roms doivent actuellement faire face en Europe ?
Brigitte Triems : Dans un premier temps, je pense qu’elles sont critiquées parce qu’elles sont très liées aux traditions, elles les respectent beaucoup. Ce préjugé vient des gens qui ne se sont jamais préoccupés des problèmes des femmes Roms. Si on parle de leurs traditions, on parle, par exemple, du mariage forcé à un âge précoce. Cela fait penser à certains qu’elles ne vont pas participer à la vie économique et sociale.
Cafebabel.com : Comment le Lobby Européen des Femmes prévoit-il d’agir à ce niveau ?
Brigitte Triems : Nous nous occupons justement de cette problématique depuis notre dernière réunion en octobre dernier. Un membre du lobby se dédie à ce sujet et nous sommes en train de rédiger notre position concernant la situation des femmes Roms dans l’Union Européenne. Nous établissons également des relations avec les différentes ONG Roms.
Cafebabel.com :En 2006, le Parlement européen a rendu un rapport sur la situation défavorable des femmes Roms. Depuis, rien de concret n’a été fait. Que faut-il faire pour changer les choses ?
Brigitte Triems : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce qu’il me semble que l’égalité des sexes ne joue plus le même rôle qu’auparavant. On a créé beaucoup de directives et beaucoup de lois pour assurer l’égalité femme/homme. Mais il y a une contradiction entre la réalité et la pratique. Et ça concerne évidemment surtout les femmes en situation très défavorable. C’est une discrimination multiple. Là, je compte sur la Commission et le Parlement, car sans une pression de leur part, les choses ne peuvent pas avancer.
10 ans pour le changement : Afin de régler la situation des 10 à 12 millions de Roms qui vivent en Europe, la Commission européenne vient de présenter un cadre européen pour l’intégration des Roms. La Commission invite chaque Etats membres à élaborer une stratégie nationale avant la fin de l’année 2011. Pour la mise en place de ces stratégies, la Commission leur a donné un délai de 10 ans. Le cadrage se repose sur quatre piliers : l’éducation, l’emploi, la santé et le logement. Pour que le cadre européen soit définitif, le Conseil européen, avec la Hongrie en tête de file, débattra de la proposition en juin 2011.
Cafebabel.com :L’une des priorités de la présidence hongroise de l’UE était l’intégration des Roms dans les sociétés majoritaires. Comment pourrait-on intégrer le sujet des femmes Roms dans cette stratégie ?
Brigitte Triems : Je pense que la meilleure solution est de passer par les ONG. Ces organisations doivent faire pression sur les institutions européennes. La Commission européenne adopte des stratégies avec une formulation impeccable, mais sans dates ni objectifs précis. Pour avoir des résultats concrets, il faut que le secteur civil intervienne. Aujourd’hui, nous avons parlé de dix priorités, dont l’amélioration de la situation des femmes Roms. Mais on n’a rien dit de précis. Nous aurions besoin d’un plan de financement qui garantisse la mise en œuvre des droits de ces femmes.
Cafebabel.com :Avez-vous déjà élaboré de tels plans d’action pour les différents pays ? Et plus concrètement, pour la Hongrie ?
Brigitte Triems : Il est clair que ce sont des organisations et des associations nationales qui doivent s’en occuper. Nous avons déclaré nos dix priorités à la présidence hongroise. Je pense que la cinquième Plateforme européenne pour l’intégration des Roms est un bon pas mais il ne faut pas s’arrêter là.
Cafebabel.com : Où devrait-on commencer le travail? Sur le terrain, dans les camps Roms, ou en intégrant plus de représentants Roms sur la scène politique ?
Brigitte Triems : Je suis persuadée que le travail commence à la base. Il faut faire participer les acteurs locaux pour améliorer la formation des femmes et ainsi atteindre une transformation de la société. Je pense que si le travail n’est pas enraciné à la base, ça n’en vaut pas la peine.
Cafebabel.com : Comme vous l’avez dit, les Roms sont très liés à leurs traditions. Les femmes Roms veulent-elles réellement ce changement, qui peut s’avérer radical ?
Brigitte Triems : C’est une question assez délicate. Moi aussi, je respecte mes traditions culturelles parce que c’est une richesse qu’il faut utiliser. Si on parle des droits des femmes, il s’agit plutôt de l’oppression des femmes Roms au sein même des structures dans lesquelles elles vivent. Je crois qu’avec la situation en général dans le monde, les femmes ont compris qu’elles ont des droits, mais en même temps il faut respecter les cultures. Et là il n’y pas de contradiction parce qu’en les respectant et en faisant participer les femmes, une vraie richesse peut se créer et améliorer la vie de toute la société.
Photos : Une : (cc)philippe leroyer/flickr ; femme rom faisant la manche : (cc)Infidelic/flickr ; Agnes Daroczi : (cc) :Leigh Phillips/flickr