Eternel pays satellite
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La Suisse cultive le mythe d’une île paradisiaque que la neutralité préserverait de tous les tourments du monde.
D’où vient donc le refus obstiné des Suisses de se joindre à l’Union européenne ? Lorsqu’on les interroge, ils donnent toutes sortes d’explications rationnelles : la prétendue incompatibilité du système communautaire avec la démocratie directe, l’écart des taux d’intérêts et de TVA, le culte du franc suisse et bien sûr l’attachement à la souveraineté nationale. En fait, leur réticence a de profondes racines émotionnelles.
Ayant échappé aux conflits du 20ème siècle, la Suisse reste persuadée qu’elle a intérêt à garder ses distances avec son voisinage. Elle n’a pas connu le bouleversement mental qui a marqué l’après-guerre dans les pays ravagés par le conflit et celui qui a suivi à l’Est l’effondrement du communisme.
Un pays euro-compatible
Ce qui ne l’empêche pas d’avoir par ailleurs les pieds sur terre. L’économie helvétique est étroitement liée à celle de l’Europe. C’est pourquoi la Confédération a conclu de nombreux accords bilatéraux avec l’Union. Elle aligne discrètement sa législation sur celle de son voisinage: dans tous ses ministères, des fonctionnaires spécialisés veillent à ce que les décisions soient euro-compatibles.
Ce jeu, mené par des négociateurs habiles, a permis à la Suisse d’être membre de facto du club là où elle le souhaite et de se maintenir à l’écart des domaines moins prisés comme la politique agricole commune. Cette stratégie est plébiscitée par la majorité du peuple et constamment louée par le gouvernement.
Souveraineté nationale illusoire
Pourtant, les dirigeants politiques et économiques les plus lucides reconnaissent aujourd’hui, sans le dire trop fort, que cette voie mène à l’impasse. Les pourparlers avec l’Union élargie sont plus difficiles qu’autrefois. Elle suscite une irritation croissante à l’endroit de ce partenaire incommode qui veut une Europe à la carte et ne s’associe en rien au dessein politique de l’Union.
Et il apparaît de plus en plus clairement que cette position est celle d’un pays-satellite: il suit la marche du train européen sans jamais participer aux décisions. Exemple : la libre circulation des personnes s’applique à la Suisse mais elle n’a jamais eu rien à dire sur le rythme et les modalités de l’élargissement de l’Union. Celle-ci lui a fermement suggéré de verser sa part aux fonds destinés aux nouveaux membres : cela a été fait, et même approuvé par référendum. Ce sera répété pour la Bulgarie et la Roumanie.
La pleine souveraineté nationale est une illusion. Pour la Suisse comme pour les membres de l’Union. À la différence que ceux-ci peuvent peser sur le devenir de la communauté.
Pas besoin d'être jeunes pour changer
Mais cette réalité indigne pour un pays fier de sa sagesse politique échappe à l’opinion publique. Celle-ci est en revanche sensible aux sirènes de certains milieux d’affaires - les banques en tête - et de la droite populiste qui font croire que la Suisse a tout à gagner à se maintenir à l’écart d’un club considéré avec une condescendance méprisante.
D’où viendra le changement ? On a cru longtemps que la nouvelle génération allait tourner la page. On constate aujourd’hui que l’âge des citoyens n’est pas déterminant. Il faudra autre chose pour que la Suisse bascule enfin vers l’Union. Des pannes sérieuses dans le maillage bilatéral, la baisse - déjà amorcée - du franc par rapport à l’euro. Et plus profondément: la prise de conscience que seule l’Europe peut assurer à ce petit pays posé en son cœur la paix et la prospérité. Ce n’est pas par beau temps qu’on est le plus lucide. Mais il y a fort à parier que les soubresauts de l’histoire finiront par ébranler la mythologie helvétique.