Etat des lieux des friches culturelles d’Europe
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On les appelle “nouveaux territoires de l’art”. En fait d’être nouveaux, cela fait plusieurs décennies qu’ils sont investis par des groupes d’artistes en quête de lieux adaptés à leur travail. On les appelle aussi “friches industrielles”...
Par Laurelou Piguet
Témoins des anciennes activités industrielles des périphéries urbaines des années 60 en Europe, ils vivent une seconde vie grâce à de nouveaux occupants qui ne peuvent en disposer sans lutter contre les pouvoirs publics locaux. Ces lieux ont fait l’objet d’un atelier très riche en débats dans le cadre des 15e rencontres de Banlieues d’Europe, qui ont eu lieu à Lyon les 12 et 13 septembre.
Fazette Bordage en est persuadée, "ces lieux sont non seulement féconds du point de vue artistique, mais proposent aussi un modèle d’économie de recyclage qu’on ne peut qu’admirer". Fazette Bordage__ représente la Mission interministérielle nationale sur les nouveaux territoires de l’art ; elle a ainsi visité un tas de sites qui reproduisent peu ou prou un modèle qu’elle a elle-même connu dans les années 70 à Poitiers avec le “Confort 2000”. Or, d’après elle, ces espaces permettent de sortir des lieux culturels institutionnels, nombreux, et offrent à leurs occupants un immense terrain de liberté de création, limité simplement par des considérations matérielles : aucun financement public ne subvient à leurs besoins.
Ce n’est pas le seul problème. Les sites en question peuvent être abandonnés, ils n’en ont pas moins des propriétaires et doivent obéir aux règles qui incombent à tout lieu public. Ces problèmes, Thierry Auzer, directeur du Théâtre des Asphodèles à Lyon, les connaît bien. Après avoir occupé pendant 8 ans d’anciens ateliers industriels situés à deux pas de la gare Part-Dieu, la justice donne raison à ses adversaires et le somme de déloger. Il ouvre de nouveau son théâtre en 2007 dans une usine pharmaceutique récemment fermée, mais reconnaît être las de ces batailles juridiques sans fin. De fait, des espaces comme cette usine de 2000m2 sont idéaux pour des travaux artistiques pluridisciplinaires qui recherchent un public de proximité dans la ville.
Mais qui dit “accueil du public” dit aussi “règles de sécurité”, et c’est pourquoi les friches ne peuvent répondre le plus souvent à ces exigences. Ainsi à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, l’équipe du Projet Bizarre (soutenu par la mairie de Vénissieux, il cherche à développer des projets artistiques en lien avec les cultures urbaines) opte souvent pour l’option “Hors-les-murs” pour faire représenter ses spectacles. Pourtant, le travail de ces artistes est parfois de permettre à une population logée à proximité de s’approprier ces lieux étranges, à mi-chemin entre l’abandon, la destruction et la réhabilitation.
À Villeurbanne par exemple, le KomplexKapharnaüm voudrait faire en sorte que les habitants voisins du Carré de Soie, ancienne zone industrielle proche de leur lieu d’installation, voient avec d’un autre regard ces terrains abandonnés par l’industrie depuis des années et autour desquels les bulldozers commencent à rôder. Les bulldozers… les plus grands ennemis des amoureux des friches. À Barcelone, la situation semble être la plus critique : les 5000m2 de la Macabra avaient séduit un collectif d’artistes, pourtant violemment délogé avant destruction immédiate des bâtiments, selon Annalisa Terrizzi, qui travaille à l’Association Maison de jeunes de Barcelone. La jeune femme est pessimiste quant à l’avenir de tels lieux dans son pays. La spéculation immobilière et les tracasseries administratives découragent les jeunes artistes. À Lyon, les artistes qui ont investi l’ancienne usine Renault Véhicules Industriels (RVI), une ancienne usine Berliet qui compte dans le patrimoine industriel de la ville, seront délogés fin 2009. Ils le savent, une partie de ces fabuleux espaces – non chauffés- est classée Monuments historiques. Les projets de réhabilitation sont multiples, sans que l’on sache lequel va être choisi.
Ces problèmes ont pris une dimension européenne, avec pourtant des particularismes nationaux qui rendent la situation assez différente d’un pays à un autre : en Hollande, on pouvait jusqu’à peu facilement squatter un lieu abandonné depuis plus d’un an. Mais une nouvelle loi va restreindre ces possibilités. En Grande-Bretagne, un bâtiment abandonné depuis plus de trois ans peut aussi être négocié par un demandeur. Par exemple, Berlin et l’UFAFabrik, anciens studios de cinéma réutilisés en espace culturel par un groupe d’artistes depuis les années 70, qui a coûté à ses occupants du travail et des batailles administratives harassants avant de pouvoir devenir un lieu autogéré qui vend du pain, des fruits et des légumes bio cultivés maison, des services d’école internationale, d’école du cirque, d’école de percussions… Aucun argent public n’est venu à la rescousse de cette troupe d’utopistes passionnés qui se sont débrouillés année après année pour que leur projet de changer la société par l’art et la communication entre les citoyens puisse perdurer. Actuellement, le collectif paie un loyer à la mairie de Berlin et reçoit quelques fonds pour ses activités culturelles et sociales. Finalement, vu le trajet accompli, c’est une victoire qui doit redonner espoir à sa directrice Sigrid Niemer ainsi qu'à tous ceux qui sont concernés par le sujet.