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Et du web naquit le demos

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La rencontre entre une Europe institutionnelle frappée d’un immense et urgent besoin de démocratie, et Internet, outil de partage, d’échange et de diffusion, aura-t-elle lieu ?

Face à l’inexistence de discours, d’opinions et de médias à échelle proprement européenne, Internet se présente et se présentera comme le lieu virtuel de toutes les expérimentations, le lieu privilégié de l’invention d’une démocratie au travers des réseaux européens : réseaux d’initiatives, d’information et d’échange et de collaboration.

Parmi la diversité des outils offerts, se distingue le weblog, interface d’opinions personnelles bénéficiant d’un référencement croisé sur les meilleurs moteurs de recherche. Mais aussi possibilité de se greffer, en le modifiant, à un réseau qui existe déjà.

Frontière infinie

C’est le début du règne de la pure interactivité informationnelle.

Tous ces outils offrent des perspectives inouïes en matière d’échange, de rapidité et d’ampleur de diffusion : exemple évocateur que celui du succès (relatif) de Howard Dean lors des dernières primaires démocrates aux Etats-Unis avec une campagne lancée sur le net.

Au-delà de la seule mobilisation des ressources, le web comme support d’un réseau est un atout en termes de création et d’inventivité.

Entre extension et créativité du réseau, se tient le nombre d’Erdös, le nombre minimal de relais pour une diffusion globale. Théorie développée par la suite sous la forme d’une « fractale de relation ». Bref rappel.

Parmi les objets fractals découverts par Benoit Mandelbrot, on cite l’exemple célèbre de la longueur de la côte bretonne. Il apparaît vite qu’elle n’est pas la même depuis un satellite que depuis le niveau d’un escargot qui parcourrait chacun des galets qui la jonchent : l’objet est toujours le même, son aire objectivement limitée mais sa périphérie infinie. De même pour le tissu alvéolaire pulmonaire, dégageant un espace maximal dans un volume limité. Se tient-là la première caractéristique des objets fractals.

Appliqué au domaine politique, cette image fractale d’une scène définie et délimitée accouchant, sur sa périphérie, sa frontière, d’une productivité, créativité ou inventivité infinie s’apparente à ce que Hardt et Negri qualifient, après Spinoza, de « démocratie absolue ». Celle par laquelle l’Humanité se créé et se recrée elle-même, par le double effet de l’invention et de la collaboration : c’est-à-dire le plein épanouissement du réseau.

Alors qu’une certaine pensée conservatrice fait aujourd’hui d’une frontière européenne le préalable absolu à tout approfondissement démocratique, on lie ici démocratie et « frontière infinie ».

Le lieu même de l’invention et de l’expérimentation, le cap de tout débordement. Non plus périphérique mais transversale au corps politique.

Une telle vision du réseau implique deux choses pour l’Europe démocratique à venir :

a- Dans un monde non plus linéaire mais complexe, la démocratie européenne ne peut plus procéder d’une somme des scènes politiques nationales. Sa frontière n’est pas non plus celle du groupe formé. Elle doit être radicalement neuve, un surplus.

b- Elle est, par conséquent, non plus seulement européenne mais déjà globale, n’en déplaise aux nostalgiques de l’Empire romain. Le « limes » virtuel devenant le cap d’un développement horizontal qui correspond à l’absence de toute limite aux trajectoires de l’action politique.

Netocratie

Parfait : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous voilà d’ailleurs retombés à l’âge des grandes utopies. Mais Internet et sa puissance technique mise au service du développement des réseaux signifie-t-il pour autant la réalisation nécessaire de cette « démocratie absolue » ?

Non, bien évidemment, une telle nécessité constituant, déjà en elle-même, un déni de démocratie. Tout dépendra du choix politique opéré quant à son utilisation à l’échelle de nos sociétés.

Or ces nouvelles technologies interactives ne vont pas sans présenter des failles démocratiques. Paul Virilio s’insurge contre « la dictature de l’instantané » qu’elles imposent, hautement préjudiciable au travail de réflexion et de jugement démocratiques. Alexander Bard reconstitue, quant à lui, la lutte des classes à l’âge de l’information interactive : se feraient face netocrates, maîtres de leur(s) identité(s) et consumataires, esclaves de celles qu’on leur vend.

La toile ne garantit pas non plus d’elle-même, le plein épanouissement des possibilités d’un réseau : elle ne prémunit en rien contre le maintien des cloisonnements linguistiques, culturels, psychologiques et nationaux. Se posent ici tout une série de questions : philosophie de la traduction, apprentissage des langues, accès généralisé à Internet… Autant d’interrogations qui ne peuvent recevoir de réponses qu’à une échelle publique européenne.

Car la toile, comme le Marché des néo-libéraux, ne règle absolument rien de lui-même. Au contraire, rend-elle plus nécessaires encore l’action et la décision humaines.

Deux éléments d’incertitude dont une Europe démocratique devra apprendre à tirer profit.Pour espérer se bâtir un jour, comme l’annonce Jacques Derrida, selon la « structure de la promesse ».