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Est ou Ouest ? Les deux visages de l'Ukraine.

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Default profile picture danielle gabillard

L'Union européenne pourrait avoir une influence prépondérante et un impact positif sur la vie quotidienne des gens vivant en Ukraine. Elle pourrait utiliser son pouvoir de façon positive afin de s'assurer que la démocratie s’enracine, qu’on construit des institutions qui perdureront, que les libertés de base sont assurées. La question est : l'UE fait-elle son possible ?

Ou l'Ukraine est-elle trop fermée pour accéder au bien-être ?

Un régime présidentiel secoué par les scandales.

Après la chute du Rideau de fer et les déclarations d’indépendance en cascade de la part des ex-états soviétiques, la plupart d'entre ceux ont fait connaître leur choix : soit forger des relations plus resserrées avec leurs associés d’Europe occidentale soit focaliser leur attention sur un rapprochement avec la Communauté des Etats Indépendants (CEI) et la Russie. Pour des pays comme la Pologne, la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie, maintenant États en voie d’accession à l'UE, le choix européen était clair. Pour d'autres, aux confins de l’ex-URSS, comme l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, le choix russe était évident. Mais quelque part au milieu, se situent l'Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie : pour ceux-là le choix est plus difficile.

Le président de l'Ukraine, Leonid Koutchma, a une attitude plutôt prorusse. Bien qu'il approuve en parole les aspirations européennes du pays, il a fait vraiment peu pour les développer. Au premier niveau, la preuve en est que la grande majorité du commerce de l'Ukraine se déroule avec la CEI et particulièrement la Russie et que la frontière entre la Russie et l'Ukraine n'a toujours pas été officiellement reconnue.

Plus significatif sont les scandales qui ont ébranlé Koutchma tout au long de ses deux mandats présidentiels. Quelques exemples. En novembre 2000 le corps décapité du journaliste Georgy Gongadze a été trouvé dans les bois d’une banlieue de Kiev. Par la suite, un enregistrement a été découvert où l’on entend Koutchma dire à quelqu'un de "traiter" avec M. Gongadze. C’était un journaliste d'investigation, critique envers le président. Un exemple plus récent est le scandale Koltchouga, où l'Ukraine a été accusée d’avoir le système de détection de première alerte Koltchouga à l’Irak. Koutchma nie, mais a du forcer la porte du sommet de L'OTAN à Prague, où il a été de toute façon universellement snobé.

Le respect des idéaux démocratiques de l'Europe occidentale est loin d’être évident. Koutchma a présenté des amendements constitutionnels pour renforcer sa position vis-à-vis du Parlement et du Premier ministre. Les leaders de l'opposition ont été évincés et harcelés, par exemple le leader d'opposition Yulia Tymoshenko a été arrêté en février 2001 et deux mois plus tard, le Parlement, favorable au Premier ministre proeuropéen d’alors, Yushchenko, est tombé. Depuis lors, la faction présidentielle a pris le pouvoir au Parlement - mais pas d'une façon transparente ou (apparemment) honnête. Lors des élections qui ont eu lieu en mars 2002, les observateurs ont constaté que des milliers de bureaux de vote étaient à court de personnel, que les noms de gens morts figuraient toujours sur le registre électoral et que la propagande de campagne avait lieu dans des édifices publiques - mais uniquement pour certains candidats. Les leaders d'opposition ont été impliqués dans des accidents de la route inexplicables au cours de la campagne. Depuis les élections, Koutchma a "forcé des hommes d'affaires à rejoindre sa Faction pour l'Ukraine Unie pour la rendre la plus imposante possible afin d’être à la tête de l’organisme porte-parole (légalement) élu de l'administration présidentielle " (1).

Messages contradictoires de l'UE

La base pour que l’Ukraine adopte les institutions et les valeurs démocratiques européennes est le Traité d’association et de coopération (PCA) signé avec l'UE en juin 1994. L'UE a signé aussi rapidement qu’elle a pu (c'est-à-dire pas très vite) ces accords avec des états ex-soviétiques comme un geste de bienveillance consécutif à la chute du Mur de Berlin. L'accord prévoyait des institutions bilatérales, où se réuniraient des ministres, des fonctionnaires et des parlementaires des deux signataires. Le but apparent de l'accord était de stimuler le commerce entre les deux parties et de fournir "une structure pour des relations politiques basées sur des valeurs démocratiques". L'accord a été suivi peu après par une Stratégie commune de l’UE envers l'Ukraine en décembre 1999, accord qui, entre autres, était supposé soutenir le développement d'une démocratie durable et d'institutions démocratiques en Ukraine.

Cependant, peu de choses ont été faites de part et d’autre pour travailler vraiment aux buts fixés par l'un ou l'autre accord. Comme nous l’avons déjà vu, il y a des preuves vraiment minces d'un véritable effort de réforme de la part de Koutchma en Ukraine et l'UE a peu fait pour condamner la situation là-bas, ou imposer un calendrier des réformes en faisant des promesses claires en guise de motivation. Comme tant de gens l’ont dit auparavant, l'UE devrait au moins donner une réponse franche à l'Ukraine. Jusqu'ici, les aspirations européennes de l'Ukraine n'ont pas formellement été reconnues. Toutes les deux ou trois semaines, il semble qu'un leader d'Etat membre, qu’un Commissaire ou un Parlementaire fasse paraître dans la presse un message contradictoire. Le dernier était l'annonce de Romano Prodi dans le journal italien La Stampa comme quoi l'Ukraine ne deviendrait jamais membre de l’UE. En plus de ces messages contradictoires, l'UE exige que les pays qui demandent l’adhésion renforcent leurs frontières, ce qui dans le cas de la Pologne renforcerait la frontière avec l'Ukraine. Quel genre de message est-ce que ça donne quand on l’associe avec les nobles mots du PCA sur la coopération, l'association stratégique, etc. ?

On peut expliquer cela du fait que la présidence de Koutchma arrivera à son terme en 2004, la Constitution de l'Ukraine permettant seulement à un président d’effectuer deux mandats. Il apparaît que dans les hautes sphères on voit Koutchma comme le principal obstacle à n'importe quel partenariat réel entre l'UE et l'Ukraine. On ne fait peut-être rien dans l'espoir qu'une figure proeuropéenne comme Yushchenko devienne président. Ou peut-être que la raison du manque de positionnement clair tient au fait déprimant que l'UE se soucie beaucoup plus de ses propres relations avec la Russie (stratégiquement plus importantes). N'importe quelle reconnaissance formelle du désir de l'Ukraine d’adhérer ou au moins de devenir associé à part entière de l'UE pourrait nuire à ces relations.

La géographie comme grille de lecture, mais comme ligne de conduire

Abstraction faite de ces notions complexes, et surtout de la géographie, le problème est beaucoup plus clair. Nous nous demandons comment l'UE peut avoir une influence positive sur une démocratie en cours de développement. Cela peut être fait de beaucoup de façons différentes, bien que leur efficacité soit discutable. On peut utiliser les punitions contre des régimes répressifs, comme les interdictions de voyage ainsi qu’on l’a vu au Zimbabwe. Ce peut être l'ouverture du marché de l’UE aux exportations, tant que de certains critères sont remplis, comme avec l'Initiative Tout sauf les Armes. On peut fixer des dates d'accession, comme avec les 10 pays qui rejoindront l'UE en 2004. Ou cela peut être fait à travers des accords de partenariat correctement mis en oeuvre, des promesses conditionnelles d'une zone de libre-échange, une aide financière... Les suggestions ne manquent certainement pas.

Toutefois, quand on applique ces idées à l’Ukraine, la géographie semble faire obstacle. Le fait que l'UE devrait essayer d'aider les peuples dont les libertés de base sont en danger, dans n’importe dans quelle partie du monde, semble être oublié quand le problème est à sa porte. Tout le débat sur la façon d'assurer réellement la démocratie en Ukraine sous l’égide de l’UE semble s’enliser face à la question suivante : devrait-on vraiment lui permettre de rejoindre un jour l'Union, selon son choix entre l'est ou l'ouest. On finit parler de la géographie : quelles sont les limites de l'Europe ? De l'Atlantique à l’Oural ? Si l'Ukraine adhère, la Russie peut-elle adhérer ? Et on finit par parler de la Turquie ?

Comme tant d'autres, je crois personnellement que l’Europe est un concept plutôt qu'une simple unité géographique ou une organisation commerciale. Si nous croyons en la démocratie européenne et si nous pensons pouvoir aider nos semblables, alors nous devons laisser tomber tout ce débat et faire quelque chose pour promouvoir une démocratie durable en Ukraine. Et en Biélorussie, et en Moldavie. Parce qu'indépendamment du fait que ces pays rejoignent un jour ou non l’Union, leurs citoyens doivent avoir malgré tout le droit aux libertés de base. Les efforts de l'Union ne devraient pas dépendre d'un choix entre la Russie et l'Europe, un choix de toute façon faussé parce qu'aucun de ces pays ne peut ignorer un proche voisin et un associé économique d'une telle importance. En conclusion, oublions la géographie, pensons aux gens. Quoi qu’il soit arrivé vraiment à Georgy Gongadze, cela ne devrait jamais se reproduire.

(1) Taras Kuzio, « Ukraine- UE: des relations perturbées », in Russie et Eurasie, 3 janvier 2002

Translated from East or West? The two faces of Ukraine.