Espagne : Gamonal, quartier rebelle
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Anaïs DE VITALes déboires judiciaires de l’Infante Cristina, la visite du président Rajoy à la Maison Blanche ou la sélection de l’Espagne pour le Ballon d’Or n’étaient pas au goût du jour dans la péninsule. En janvier, l’actualité s’est surtout concentrée sur les affrontements entre habitants et autorités en place à Gamonal, un quartier de Burgos.
Le quartier de Gamonal ne veut pas des travaux de plus de 8 millions d’euros engagés par la municipalité. Avec l’appui de quelques indignés venus de Burgos (ville au nord de l'Espagne, ndt), les habitants ont manifesté contre le réaménagement de la Calle Vitoria, une des artères principales de la ville qui relie la zone industrielle de Pentasa au centre-ville. Pourquoi un tel projet ? L’objectif était de supprimer 300 places de parking en surface et de réhabiliter la quatre-voies pour faciliter la construction d’un parking souterrain privé dont les places coûteraient chacune 19 800 €, pour un contrat de location de 40 ans. Une décision choquante dans un quartier où le taux de chômage est très élevé.
L’origine du conflit n’est pas sortie de nulle part. Dès le début des travaux, les habitants de Gamonal ont essayé de rencontrer le maire de Burgos, Javier Lacalle, du Parti Populaire espagnol, afin de lui témoigner leur désaccord sur le projet. Mais son refus de dialoguer a abouti à une semaine de manifestations en tout genre, de réunions pour la création de groupes de travail, d’interminables veillées nocturnes, d’émeutes et de descentes policières qui se sont soldées par 46 arrestations et de nombreux blessés.
Au final, le conseiller municipal a cédé de manière définitive le 17 janvier dernier, quelques heures après avoir demandé la poursuite des travaux. La nouvelle a été rapportée par un membre du mouvement citoyen contestataire « No al Bulevar » après un concert de rap organisé dans la « Zone zéro », un quartier de Burgos.
Médias traditionnels Vs. réseaux sociaux
Les protestations pacifiques qui ont eu lieu avant le 10 janvier sont passées inaperçues, mais les émeutes qui ont suivi ont été relayées par les médias nationaux. Au lieu de donner des explications, avec plus ou moins d’habileté, sur les tenants et les aboutissants du problème, les principaux relais d’informations ont parlé de l’attitude violente des révoltés. On a aussi évoqué la présence de radicaux d’extrême droite dont le but était de s’adonner au terrorisme de rue. « Tant qu’il n’y avait pas d’incendie, on en a pas parlé », regrette Sheila, habitante du quartier de San Pedro à Burgos qui a activement participé aux manifestations.
Face aux journaux traditionnels, les réseaux sociaux et les blogs ont joué un rôle crucial. Des milliers d’Internautes ont exprimé leur opinion, en partageant des informations et en indiquant l’heure et le lieu des réunions et manifestations. Seulement Twitter a été censuré : « beaucoup de gens écrivaient des commentaires qui n’apparaissaient pas, on téléchargeait des photos, mais les images étaient censurées », rapporte Sheila qui a décidé d’ouvrir un compte sur le réseau social pour donner ses impressions sur les événements.
EFFET GAMONAL ET SOLIDARITé contagieuse
La communication sur les réseaux sociaux a permis la mise en place en un temps record d’appels à la solidarité avec le quartier Gamonal dans toute l’Espagne. Entre le 14 et le 17 janvier, plus de 30 villes ont manifesté leur soutien à la cause et aux personnes arrêtées.
Juan Manuel Alonso, porte-parole de Gamonal, affirme que « sans la solidarité venue d’autres villes d’Espagne et quelques médias, aucune issue n’aurait été possible ». C’est pour cela qu’il assure que le quartier soutiendra toute initiative cherchant à lutter contre l’injustice, car « ce qui nous intéresse ce sont les gens, parce qu’ils valent beaucoup plus que les partis politiques, les institutions, les blocs de béton ou les boulevards ».
LA LUTTE CONTINUE
Une bataille vient d’être gagnée, mais la guerre n’est pas terminée. « Nous continuons à lutter pour une ville libérée de toute spéculation, où les personnes peuvent vivre dignement », affirme sur Internet le Conseil de Gamonal 2014, qui poursuit son travail dans le but de faire appliquer d’autres revendications.
Les travaux paralysés pour de bon, la priorité du mouvement contestataire citoyen de Burgos est d’assurer la libération sans inculpation des personnes arrêtées. C’est pourquoi Alonso et de nombreux habitants ont demandé formellement à la municipalité et aux banques de ne pas se constituer partie civile pour les procès à venir.
Les autres grands projets du Conseil de Gamonal : retirer les dispositifs anti-émeutes de Burgos et de demander la démission définitive de Javier Lacalle. Selon Sheila, « il est difficile d’appliquer ces revendications, mais la démission du maire est imminente, parce qu’il subit de nombreuses pressions, en particulier de son propre parti ». De son côté, le porte-parole de Gamonal considère qu’il est primordial de créer un « système qui nous permette de gérer les problèmes au quotidien, parce que ce genre de situation nous fait plus reculer qu’avancer ».
Quoi qu’il en soit, Gamonal se pose en exemple de mise en pratique de la démocratie face à une classe politique de plus en plus intouchable. Il se peut que l’on taxe les habitants de ce quartier de violents, mais comme le disait le rappeur Kopoet après son concert dans la « Zone zéro »: « nous ne sommes pas violents. La vraie violence, elle est dans le recul de nos droits et dans les licenciements qui jettent de nombreuses familles à la rue ».
Translated from Gamonal contra goliat