Erasmus : au top de la première vague d'étudiants européens
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Avec plus de 300 000 étudiants séduits chaque année, le programme d'échange créé en 1987 fait toujours un carton. Mais combien étaient-ils au départ ? Pas beaucoup. Matthieu, Sophie et Sébastien font partie des premiers cobayes à être partis étudier à l’étranger dans les années 90. 20 ans après, ils racontent leurs expériences et le regard qu’ils portaient sur une Europe sans Euro ni Wifi.
« Je suis arrivé un samedi et évidemment la résidence étudiante était fermée…» Septembre 1992, Sébastien débarque aux Pays-Bas et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses premiers heures d’étudiant Erasmus auraient pu mieux commencer. « Letje, ma coordinatrice Erasmus, m’avait trouvé à l’arrache un logement chez des étudiants néerlandais pour le week-end. J’avais dû dormir dans la cuisine. » Sa déception sera de courte durée. Parce que son année passée à Amsterdam lui a permis de se faire des amis à vie : « On est restés très liés parce qu’on a tous les mêmes valeurs. Quand notre groupe s’est reformé 25 ans après, c’était comme si on s’était vus hier. »
L’amitié au bout du fil
Mais comment rester en contact, avant Skype et la fin du roaming en Europe (frais d'itinérance qui s'appliquait hors de son pays, ndlr) ? En bons enfants du nouveau millénaire, il nous paraît impossible de concevoir un échange sans une connexion Internet. « Avec mon ami allemand (rencontré pendant Erasmus ndlr) on s'appelait par téléphone filaire, assis dans l'entrée de chez nos parents. Et on payait plein pot ! », relate Sophie, enjouée. Partie à Nuremberg en 1991, la quadragénaire garde un « souvenir impérissable » de son aventure allemande. Cet été, c'est un voyage en train à travers l'Europe qu'elle entreprend, avec mari et enfants. Elle en profitera pour revoir Markus, un ami nurembergeois.
« Erasmus, ce n'est pas un séjour touristique, c'est se plonger dans une autre culture pendant 6 mois, 1 an », confie Matthieu, un Erasmus 1999. C'est en Espagne qu'il avait mis un pied à l'époque, et qu'il n'a jamais enlevé depuis. Ce violoniste vit aujourd'hui à Valence avec sa femme espagnole, rencontrée alors qu'elle était en Erasmus en France, et leurs trois garçons. « Erasmus génère des échanges très forts, beaucoup de gens sont amenés à découvrir en profondeur une autre culture, un autre pays. Dans mon cas, toute ma famille a découvert l’Espagne et celle de ma femme a découvert la France. »
Seulement, Sébastien Sophie et Matthieu ont-ils conscience d'avoir été les premiers participants d'un programme qui rassemblera plus de 4 millions d'étudiants, et 9 millions de jeunes au total ? « J'ai fait mon petit bonhomme de chemin, je ne me sens pas spécialement comme un "ancien", il se trouve que je faisais partie des débuts d'Erasmus. Je n'ai pas conscience du nombre de jeunes qui m'ont précédé. Je garde plutôt en tête une histoire très personnelle », explique Matthieu, d’un ton calme et réfléchi.
« On se rend compte de sa force seulement maintenant, 30 ans après. Au départ, Erasmus était considéré comme une simple bourse qu’on accordait aux étudiants. »
Aujourd’hui journaliste, Sébastien a réalisé un documentaire l’an dernier sur les étudiants d'aujourd'hui – Erasmus, notre plus belle année – dans lequel il filme les parcours de Quentin, James, et tant d'autres qui ont marché sur ses pas. Et en profite pour raconter la sienne, 25 ans après. Tout est parti d'une question : Quel est le visage des Erasmus en 2017 ? « Ils ressemblent beaucoup aux premiers étudiants qui sont partis. Mais désormais, il y en a qui votent pour le Brexit, comme James. » James a 21 ans à l'époque du tournage en 2017. L’étudiant britannique raconte comment, après s'être beaucoup renseigné sur le sujet, il prend la décision de voter pour quitter l'Union européenne au référendum organisé en juin 2016 dans son pays. Trois mois plus tard, James partait en Erasmus aux Pays-Bas. « D'une certaine manière, on peut se dire qu'Erasmus est tellement intégré aujourd'hui qu'il peut même faire voyager des étudiants qui votent contre l'Union européenne », analyse Sébastien, sans une once de jugement.
« Aujourd’hui, l’attachement à l’Europe est moins politique »
Plus de 30 ans après la création du programme, c'est indéniable : Erasmus est extrêmement populaire. 300 000 étudiants sont séduits chaque année par une destination hors de leurs frontières. « C'est presque systématique de partir pour ceux qui font des études », souligne Sophie, encore enthousiaste. En particulier en ces temps difficiles pour l'Europe, qui accouche d’un paradoxe : à mesure que le lien social s'accroît entre les Européens, les frontières sont de plus en plus visibles. Mais la première cuvée d’Erasmus a débouché sur une génération d’euro-optimistes. Quand Sophie est persuadée qu'Erasmus « peut favoriser l'esprit européen, un peu malmené aujourd'hui », Matthieu, lui, ne rejette pas la responsabilité de la situation européenne sur le programme d'échanges : « Si l'Europe n'est pas en forme en ce moment, ce n'est pas à cause d'Erasmus, bien au contraire. Le programme a renforcé la construction européenne d’une manière très forte et très intime, discrètement, de l'intérieur. On se rend compte de sa force seulement maintenant, 30 ans après. Au départ, Erasmus était considéré comme une simple bourse qu’on accordait aux étudiants. »
« Construire », le mot revient souvent dans la bouche de Matthieu, Sophie et Sébastien, comme une douce chansonnette. N'est-ce pas ça l'esprit Erasmus ? Fonder un avenir commun ? « Bâtir des ponts plutôt que des murs », comme le préconisait un ancien étudiant au quotidien français Le Monde ? S’il y a bien une leçon qu'a retenue Sébastien de son expérience néerlandaise, c'est bien de rester sur ses gardes quant aux droits et libertés acquis grâce à la citoyenneté européenne. « Quand on voit les dernières élections en Italie, la Hongrie, la Pologne… L'idéal européen n'est pas garanti, constate-t-il, songeur. Il faut qu'Erasmus continue à être ce ciment entre les pays, à faire voyager les étudiants et leur faire connaître une autre réalité. »
La génération de Matthieu, Sophie et Sébastien avait 20 ans dans les années 90. Elle a connu les frontières, leur renversement puis la mise en commun, progressive, des richesses nationales. Alors, pouvoir étudier à l'étranger ? Un acte aussi extraordinaire qu’engagé. « On était tous béats, contents, pleins d'énergie. D'une manière générale, on n'est plus du tout dans l'esprit de 1992. Aujourd’hui, l'attachement à l'Europe est moins fort, il est moins politique. Nous, on parlait beaucoup de politique européenne », rapporte Sébastien. Aujourd'hui, il s'interroge : la nouvelle génération est-elle moins politisée ?
Une chose est sûre : de nos jours, partir en Erasmus n’est plus un acte militant. Il n’empêche que si les étudiants d’aujourd’hui attachent moins d’importance à la symbolique d’un échange européen, ils n’en restent pas moins ouverts à un avenir à 27. « Qui n’est pas d’accord avec l’Europe ? Les gens de ma génération ou des plus vieux. Les jeunes qui ont voyagé sont rarement tentés par ces idées politiques », affirme Sophie. « Les exemples comme James restent tout de même assez rares, tempère Sébastien. À partir du moment où l’on rentre dans cette aventure-là, on partage ses valeurs. »
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