Entretien avec Magyd Cherfi
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« Comment se sentir Européen quand on n’est pas traité comme un Français? »
Sa tournée a pris fin depuis plus de deux mois mais il a tenu à se produire à Cébazat (63), à l’occasion du festival tremplin « Sémaphore en chanson ». Si la salle n’était pas comble, la générosité et l’énergie de l’artiste ont survolté un public acquis à sa cause.
En coulisse, le même Magyd Cherfi souriant nous parle de ses débuts, de son travail en solo et avec Zebda (qui est à nouveau en studio) et de son refus de participer au débat sur « l’identité nationale ».
Nous sommes sur un festival tremplin de jeunes talents alors la question évidente c’est : comment ça s’est passé pour toi quand tu étais jeune talent ?
J’ai la sensation que ça a été lent et long. J’ai eu l’impression d’être vieux quand on m’a dit que j’étais jeune talent. Si on compte les années noires, c’est-à-dire les années avant que tu commences à exister, pour moi, avec Zebda, ça a duré 15 ans. Tout compris, à partir du moment où on jouait dans des bars. Ca commence avec l’impression du vide et puis t’as l’impression qu’un petit public s’accroche. Ca grossit, ça s’amenuise, ça grossit à nouveau et ça disparaît.
Tu as connu le succès avec Zebda, tu joues maintenant seul depuis 6 ans. Ca n’a pas été trop dur de se détacher de l’image du chanteur et parolier de Zebda et de se faire connaître en tant que Magyd Cherfi ?
C’est encore dur !
Tu en as marre que l’on te pose cette question ?
Non je n’en ai pas marre parce que je comprends. Les gens ont envie qu’on soit Zebda, ils n’ont pas envie que je sois Magyd. J’ai fais 2 albums qui n’ont pas eu d’écho particulier et moi-même je n’ai pas cessé de me dire « fait chier, fais du Zebda, c’est mieux !». Je n’ai pas su, même moi dans ma tête, m’en débarrasser, au point que je pense que j’ai fait l’erreur, ou de vouloir m’en approcher, ou de vouloir m’en éloigner. Aujourd’hui je me fous d’en être proche ou loin dans ce que je fais en solo. Mais il m’a fallu tout ce temps pour me dire ça. Je me suis donc senti mal pendant tout le temps de ces années solo.
Ton dernier album date de 2007. A quand un prochain album ?
J’espère dans une petite année.
Tu prends le temps ?
Non, je ne prends pas le temps parce qu’on n’a pas le temps. Sur les deux premiers albums je n’avais pas le temps car j’étais pressé de voir ce que je savais faire. Je n’avais pas le temps et je ne l’ai pas pris. Là, je ne l’ai pas le temps mais j’essaie de le prendre.
Pourquoi tu n’as pas le temps aujourd’hui ?
Parce que démarrer en solo c’était comme naître et je nais à 40 balais (enfin je te parle d’il y a 6 ans). C’est embêtant de naître à cet âge-là, parce que le temps passe et qu’on voudrait avoir fait quelque chose qui nous ait convaincu soi. Et de moins en moins j’aurai le temps car dans la tête le temps passe et nous est très cher.
Etre convaincu soi-même par quoi ? Par l’écho que tu reçois, par le message que tu fais passer, par ta musique ?
C’est d’avoir senti un écho quel qu’il soit et que je n’ai pas entendu. J’ai entendu « ouais bof ». Avec toujours des gens qui trouvent ce qu’on fait super mais tu trouves toujours quelqu’un qui te dis que ce que tu fais c’est super. Et j’ai trouvé que ce n’était pas injustifié, comme si je n’étais pas allé assez loin.
Donc il y a une vraie remise en question sur le prochain album ?
Oui. Je me dis « sois toi ! » mais « où es-tu toi ? ». Quand on a connu une histoire de groupe, c’est compliqué, parce qu’il faut tout à coup se détacher de ce que l’on est soi. C’était très compliqué pour moi car j’étais moi quelque part, et il a fallu être moi ailleurs. C’étaient deux moi que j’ai voulu séparer. Mais il n’y en a qu’un !
Pour Zebda, tu écrivais les textes, pour toi tu écris les textes et la musique ?
Non, c’est la même chose. Pour Zebda, j’apportais les textes et j’apportais des airs, des amorces de chant et les musiciens le développaient. Et là, j’ai fait la même chose avec d’autres musiciens.
Tes textes sont toujours très engagés. Dans les débats actuels, qu’on peut qualifier de « riches » sur des sujets qui te tiennent à cœur, comment tu te positionnes ?
Moi je suis un enfant gâté à ce niveau là. Tous les jours, dans l’actualité, il y a un arabe, un noir, un immigré, un sans papier, un maudit, d’aussi loin que je me souvienne. Je n’ai pas le problème de la page blanche ! Et alors là c’est le débat sur l’identité nationale. Je pourrais en tartiner. Mais j’ai honte de pouvoir en tartiner !
Pour toi la question de l’identité nationale ne devrait tout simplement pas se poser ? Tu refuses de participer au débat ?
J’espère ne pas y participer. En tout cas pas au débat lancé par Besson ministre de l’immigration et de l... et l’Etat. « Identité » et « national » c’est une collusion que je ne comprends pas. Quand je vois des gens essayer de répondre à cela et quand je vois des gens comme Fadela Amara, Rachida Dati ou Rama Yade soutenir le débat, c’est pour moi la fin de l’espérance en la fraternité. Ce n’est pas possible. Ils sont en train d’instaurer une race blanche, d’établir une identité blanche qui ne dit pas son nom. Et ça passe. Les gens disent « oui, c’est un débat intéressant ». On n’est pas dans la merde !… Il ne faut pas participer à ce débat, et faire part d’un état d’âme, l’écoeurement face à ce que l’on suggère : la race blanche.
Quand tu entends un ministre comme Brice Hortefeux dire : « Quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a plusieurs que cela pose problème »…
Je suis beaucoup moins en colère maintenant, à l’âge que j’ai. Avant, j’avais envie de prendre un fusil, un caillou, une fronde et de dire : « Tant pis je vais tirer. J’en ai marre». Aussi loin que je remonte il y a toujours eu un ministre ou un président qui a dit : « Il y en a trop », « Vous êtes de trop », « Il faut s’intégrer ». Là c’est un énième retour de bâton. Maintenant, je ne suis plus en colère. Je me dis que ce ne sont pas les immigrés qui ont un problème, ce sont les Français blancs qui ont peur des arabes, des noirs et de l’Islam. Nous sommes français, point ! Tous ces gens sont français. Ils sont différents car ils ont un bout de culture qui vient d’ailleurs. On ne dit pas à un Français qu’il est français, alors qu’à un noir, on dit : « toi t’es français ». Là, il y a un problème. Aux Etats-Unis, un noir de quelque origine qu’il soit est avant tout un américain. En France, un noir est immigré, fils d’immigré de deuxième, troisième génération, un sans papier et après est un Français. Un noir ou un arabe en France n’est jamais français, du moins dans la rue, on est dans l’éventualité.
Pour toi, le débat sur la burka est un débat sur la libération de la femme ou sur le problème que les Français ont par rapport à l’Islam ?
Il y a les deux. Je suis viscéralement contre le port de quelque vêtement que ce soit, sur la tête. Mais après avoir vu des cousines en France ou au bled le porter, je comprends un peu plus pourquoi. Il y a un truc qui s’appelle République ou Etat de Droit qui ne les protège pas. Comme elles ont peur, elles cherchent des armes que ne leur fournit pas cette pseudo république et ses droits et devoirs. Ils disent qu’on a des devoirs et ils ne nous donnent pas les droits, notamment aux filles qui sont flippées, dans leurs familles, dans leurs cités. C’est pour ça qu’elles ont peur et qu’elles cherchent des issues. C’est un peu le serpent qui se mord la queue : la république ne les protègent pas et fait passer une loi spécifique contre le port du voile. Je suis intellectuellement contre mais je me dis que si ces filles le portent, c’est que nous (l’Etat) les avons laissées tomber.
Selon toi, quelles sont les issues possibles pour ces filles ? Il n’y en a pas. Comment faire ? Partir ? Mais partir où ? Avec qui pour les protéger ? Et puis il y a aussi la dépendance affective à sa propre mère. Comment on a la force de partir en abandonnant sa mère, sa famille, sa tribu, son clan, l’arbre généalogique. Il y a toujours quelques filles d’exception qui trouvent la force de couper court à tout pour vivre libres. Elles sont très peu. Il n’y a pas d’issues à mon sens. Il n’y en a déjà pas ou très peu pour les garçons… C’est pour ça que la fraternité Black, Blanc, Beur ne fonctionne pas.
Tu es donc résolument pessimiste sur cette question ? A court terme, oui. Mais forcément optimiste a long terme, car il faudra bien que l’on s’aime, de force. Pour les arabes, les noirs il faut des lois de parité. Car autrement dans 50 ans il n’y aura pas deux blacks à l’Assemblée Nationale. Alors on va nous dire « oui mais ce n’est pas égal » mais on les emmerde il n’y a déjà pas d’égalité car on est déjà défavorisé. Donc avec un peu de « défavorisé » et un peu de « favorisé » ça fera un rapport égal. Moi j’assume d’être le favorisé de l’histoire. Beaucoup de blacks et de beurs sont contre. Le débat est ainsi.
Tout à l’heure tu parlais des Etats-Unis, tu voudrais des lois de discrimination positive comme il y en a eu là-bas. Malgré moi oui. Je trouve que ce n’est pas un bon truc mais c’est tout ce qui nous reste. On a fait beaucoup de discours sur l’intégration, l’égalité et la l’unité et la fraternité mais cela ne marche pas. Quand t’es noir t’es pas embauché.
Tu parles d’unité et de fraternité, c’est aujourd’hui l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. Tu as un souvenir précis de ce jour-là ?
Je crois que j’étais en tournée à ce moment là. J’ai eu un sentiment de bonheur, comme une frontière qui explose, comme une famille qui se réunit, mais je n’avais pas la dimension politique de la chose. Je ne savais pas ce que cela voulait dire à ce moment-là. Je ne savais pas que c’était la fin de du communisme, du bloc soviétique.
Cet anniversaire marque aussi le début d’une nouvelle ère européenne. Quelle est ta vision de l’Europe ?
Je suis assez peu européen dans ma tête parce que je trouve qu’on n’existe déjà pas dans un pays. J’ai du mal à me projeter dans une dimension européenne alors que je trouve que l’on n’est pas traité comme Français dans notre pays. Comment penser européen alors que la fraternité ne fonctionne pas ?
Qu’est-ce que tu dis à tes enfants?
Parfois mes enfants se demandent s’ils sont français. Mon fils s’est fait traiter de « sale arabe ». Il s’est mis à pleurer à l’école. Alors s’il me demande s’il est français, je lui réponds « tu es français mais ! ». Quand on est noir en France on n’est pas blanc !
Tu t’es écarté du mouvement des Motivé-e-s ? Qu’en est-il de ton parcours militant ?
Je ne suis pas un militant politique ? Je ne l’ai jamais été. J’ai accompagné des gens que j’aimais qui étaient à gauche, et à l’extrême gauche. Je fais de la militance émotive, avec mes chansons.
Et on entend dire que Zebda va se reformer… Que peut-être pas…
Oui, Zebda va se reformer. D’ailleurs Zebda est de nouveau en studio !