Enfants de la crise, de l'ego et du bien-être : les livres de la génération Y
Published on
Translation by:
sophie dubusDeux auteures allemandes ont décrit la génération des 20-30 ans dans deux livres parus l’an dernier. L’une nous prend en pitié, l’autre nous accable de reproches. Elles ne sont d’accord que sur un point : la situation actuelle ne peut pas durer.
Notre vie n’est qu’un grand tiraillement. Un désaccord avec nous-mêmes. Nous avons de l’argent et de gentils parents, appelons nos amis sur nos smartphones, voyageons et parlons plusieurs langues. Il ne nous manque qu’une chose : l’espoir. Comment est-ce donc possible ?
Deux livres parus l’an dernier tentent d‘expliquer cette situation. Il était plus que temps de faire un portrait détaillé de notre génération : nous étions déjà les « enfants de la crise » pour le Spiegel, de « tristes bûcheurs » pour Die Zeit. Nous nous sommes tus sous les reproches - pour en remettre nous-mêmes une couche au moment d’Occupy et du pacte budgétaire. Meredith Haaf n’a que dédain pour nous. Son livre s’appelle Heult doch (« Lamentez-vous ! »), sous-titre : « Les problèmes de luxe d’une génération ». Nina Pauer, elle, nous envoie bafouiller, pleurer, thématiser chez le psychologue, qui diagnostique un trouble de la personnalité et diverses dépressions. Cette « thérapie de groupe d’une génération », elle l’a intitulée Wir haben keine Angst (« Même pas peur »). Et d’une certaine manière, elles ont toutes les deux raison.
C’était mieux avant
Tout le monde s’accorde sur les faits : tout était mieux avant. Aujourd’hui, tout pourrait chaque jour être pire : changement climatique, déforestation de l’Amazonie, terrorisme, chômage des jeunes, expansion démographique. Nous sommes au courant de tout cela et n’y restons pas indifférents. Seulement, nous ne pouvons rien y faire.
Mais nous avons peur. Tout ce que nous pouvons protéger, c’est nous-même. Nous allons donc à notre rythme et finissons en parfaits petits rouages du système. Mais ne croyez pas que le jeu en vaille la chandelle, ni que nous fassions cela de bon cœur. Nous sentons bien la contradiction. Et lorsque nous nous retrouvons seuls, lorsque tout d’un coup le bruit s’arrête, nous sommes parfois très abattus. Ou alors, nous publions une vidéo sur Facebook, en guise de protestation. Chacun gère le problème comme il peut.
On peut nous plaindre, comme le fait Nina Pauer. Anna, représentante de sa génération, éclate un soir en sanglots sur l’épaule de sa mère. Parce qu’au travail, la pression est trop forte, parce qu’elle ne dort plus depuis qu’elle a ce nouveau boulot, parce que l’ambiance est méga-stressante au bureau. On peut aussi nous blâmer, à l’instar de Meredith Haaf. « Rien n’interdit de se donner autant de mal que possible, de faire de son mieux, et tout le reste », écrit-elle. « Mais il ne faut pas croire que la seule attitude possible, c’est la performance individuelle, rétribuée au maximum par quelques options de consommation un peu plus larges. » Là où le bât blesse, c’est que la plupart d’entre nous donneraient vraisemblablement raison aux deux.
« Ce monde est malade, non ? »
Nous avons peur des CDD mais nous ne voulons pas nous fixer. Nous savons qu’il serait temps de passer au post-matérialisme mais nous achetons toujours avec ardeur. Nous voudrions bien sauver le monde mais nous ne savons pas comment. Et même si nous commençons, nous abandonnons rapidement parce que des enfants continuent de mourir en Afrique et que la fonte des calottes polaires ne semble pas ralentir. A la place, nous nous optimisons nous-mêmes. Toujours, partout, sans arrêt. « Ce monde est malade, non ? », lance le protagoniste de Nina Pauer. Le dernier mot de la sagesse.
Et pourquoi, au juste, demande Meredith Haaf. Bien sûr que l’avenir paraît sombre. Mais le système n’est pas responsable de nous : c’est nous qui le sommes. Nous manquons d’utopies, de solidarité, de conscience politique. Et pour une fois, souligne Haaf, le monde n’y peut rien. « Peut-être dira-t-on un jour de nous que nous avons laissé notre monde dépérir parce que nous avons eu trop peur de le sauver. » Le portrait que dresse Nina Pauer s’apitoie tant sur lui-même qu’on a envie de s’en détourner. L’écriture de Meredith Haaf est si agressive qu’elle nous laisse croire que rien en nous n’est un tant soit peu bon. Et comment sommes-nous en réalité ?
Notre voie ne mène nulle part
En réalité, nous sommes les plus intelligents de notre époque. Nous pouvons tout faire et sommes allés partout ; aucune montagne n’est si haute que nous ne puissions la gravir, aucun être humain si différent que nous ne puissions faire sa connaissance. Mais comment utiliser au mieux ces capacités ? Voilà ce que nous ignorons. Nous n’y avons jamais réfléchi. Nous avons toujours suivi la voie qui nous a été montrée. Et il s’avère lentement qu’elle ne mène nulle part.
« Je ne crois pas que la situation actuelle soit une fatalité », écrit Meredith Haaff. « Je crois que si nous commençons à exercer notre esprit critique et à ne pas vouloir toujours tout faire bien comme il faut, les changements adviendront d’eux-mêmes. » Mais il est plus probable qu’au dernier moment, le chef passe par-là en demandant : « Mais qu’est-ce que tu veux de plus ? Tu as déjà tout ce qu’il te faut. » Et il aurait lui aussi raison.
Photos : Une (cc)raruschel/flickr; avec l’aimable autorisation des éditions Fischer Verlag et Piper Verlag; Vidéo: euronewsfr/YouTube
Translated from Ego-Wohlstands-Krisenkinder: Die Bücher der Generation Y