En Grèce, les fables se racontent avec des grenades
Published on
Cela fait un petit moment que la Grèce est au centre des attentions en raison de la crise financière. Quelque part, le pays a conforté sa ressemblance avec la cigale provenant de la fable d’Esope, qui pendant l’été chantait et riait de la fourmi qui, quant à elle, effectuait un travail besogneux.
Mais « quand la bise fut venue », la cigale, affamée et bien dépourvue, a demandé de l’aide à celle dont elle se moquait tant. Quelle est la fin de l’histoire ?
Ironiquement, la fable admet deux dénouements. L’un est heureux et prévoit que la fourmi et la cigale passent l’hiver ensemble. L’autre dramatique prédit que la fourmi laisse la cigale mourir.
Imaginez maintenant que la fourmi symbolise l’Europe. Et qu’au début de l’hiver, la cigale (magistralement incarnée par la Grèce) frappe à sa porte pour demander secours. Après d’âpres réflexions dans son abri, elle décide finalement d’accueillir la cigale. « Vivat ! », diriez-vous…Mais si l’on apprend que, pendant la période estivale, la cigale fut contrainte de donner des raisins à la fourmi en échange de son hospitalité. Ça change tout, n’est-ce pas ? Bref, tout ça pour dire que cette fable décrit admirablement bien la relation qu’entretient actuellement la Grèce avec les membres les plus influents de l’UE, à savoir la France et l’Allemagne. Et que les raisins ne symbolisent rien de moins que des armes.
Pour Cohn-Bendit, « c’est une saloperie »
Le 4 mai dernier, Daniel Cohn-Bendit, coprésident du groupes Verts/ALE au Parlement européen, affirmait à ce sujet que « l’un des problèmes majeurs de la Grèce concerne son budget alloué à la défense. Près de 4, 3 % du PIB grec est dédiée à ce secteur ! ». Et déclarait, « pourquoi on pousse les Grecs à continuer à acheter des armes ? Parce que s’ils en achetaient moins, les Français et les Allemands ont peur que les Turcs achètent moins d’armes. Il y a une hypocrisie, on pourrait même dire que c’est une saloperie ! ».
D’autant plus que les chiffres parlent. Les dépenses militaires de la Grèce (6 milliards d’euros), rapportées au PIB, seraient les plus élevées de l’UE en 2010, selon le rapport annuel de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). A l’heure actuelle, 2,8 % du PIB serait consacré au secteur de la défense contre 1,7 % en moyenne dans les autres pays européens membres de l’OTAN. Concernant les troupes, la Grèce c’est aussi 100 000 hommes et femmes pour l’armée de terre, 18 800 pour la marine et 26 800 pour l’aviation. Soit 2, 9 % de la population active grecque alors que les forces armées dans les autres pays de l’OTAN n’en représentent (qu') 1.7%.
Un euro, ça fait combien de revolvers ?
Toujours d’après le document du SIPRI, le gouvernement grec achète la majorité de son armement via les Etats-Unis, la France et l’Allemagne. Et il semblerait que le pays s’est de plus en plus rétracté sur le Vieux Continent. En effet, en 2003, 67% du budget des forces armées grecques fut dirigé vers les Américains tandis que seulement 11% été alloué au couple franco-allemand. Néanmoins, la situation a changé dès lors que la Grèce est rentrée dans la zone euro, concédant désormais 31% de ses dépenses militaires à l’Allemagne et 24% à la France.
Comment interprétez ces chiffres lorsque l’on sait combien la Grèce est enlisée dans sa panade financière ? Selon la voix médiatique du pays, le budget militaire est intouchable sous prétexte que le peuple Hellènes vit sous la menace permanente de la Turquie. Mais il est intéressant de considérer l’hypocrisie à laquelle Cohn-Bendit fait référence. Car, malgré les énormes emprunts du Fond Monétaire International (FMI), de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de l’UE dont a bénéficié la Grèce, on est en droit de se demander si la solidarité armée entre les États membres doit être le véritable ciment d’une communauté pacifiée… Ou alors nous sommes bel et bien les protagonistes d’une fable dont la morale, entre un missile et un fusil, est beaucoup moins ludique que celle d’Esope.
Photos : Une, (cc) Dramatic/Flickr ; La cigale et la fourmi (cc) EmilyValenza/Flickr