Emmanuel Macron : la langue dans la poche
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Depuis l’officialisation de sa candidature à la présidentielle, le candidat d’En Marche! fait l’objet de plusieurs attaques sur son discours politique. Ambiguïté ? Timidité ? Vacuité ? Réponse avec quelques éléments de langage.
Il fait très chaud sur le plateau de l’émission du Grand Débat. Ce 20 mars 2017, cinq candidats à l’élection présidentielle s’affrontent dans un dispositif inédit. Chronométrés à tour de rôle, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon exposent leur projet pour la France et peuvent, de temps à autre, s’interpeller. À ce petit jeu, le candidat d’En Marche! semble pris par l’enjeu. Peu rompu à l’exercice, il vient de rater son introduction, balbutie son programme et donne la sensation de prendre un coup chaque fois qu’un journaliste lui pose une question. Et, pardon de le dire, mais après une heure d’émission, l’impression se confirme : le favori des sondages est en train de passer à côté de sa prestation.
« En même temps »
Étrangement, c’est sa future adversaire au second tour qui va le remettre en selle. En l’apostrophant sur le burkini, Marine Le Pen provoque un électrochoc. Soudainement, Macron sortira de sa torpeur en recadrant violemment la cheffe du Front National. Ce sera peu ou prou la seule fois où l’ancien ministre s’abandonnera à une saute d’humeur. La campagne retiendra sûrement son emballement sur le fameux « Notre projet » de son premier grand meeting. Mais à part ça, rien. Depuis l’annonce de sa candidature à la présidentielle en novembre 2016, Emmanuel Macron s’applique à rester extrêmement policé. En soufflant le chaud et le froid, en ménageant la chèvre et le chou, il navigue depuis sur un long flow tranquille.
« En même temps ». La formule est devenue le concentré des attaques sur ce qu’on appelle désormais le « macronisme ». En utilisant à l’envie ces trois mots, le leader d’En Marche! exprimerait toute la timidité de son programme, de sa campagne, de son projet. Lors du Grand Débat, Marine Le Pen le formulera ainsi : « À chaque fois que vous prenez la parole, vous dites un petit peu de ceci, un petit peu de cela (…), on ne sait pas ce que vous voulez ». Emmanuel Macron veut « en même temps » travailler et apprendre, « en même temps » la croissance et la solidarité, « en même temps » la droite et la gauche. L’expression lui colle tellement aux basques que son équipe a décidé d’en assumer l’usage. Lors de ses derniers meetings, le candidat prendra même le temps de s’arrêter dessus. « En même temps, ça signifie que l’on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement de la société », soulignera-t-il à Bercy.
Nombreux sont les spécialistes à s’être penchés sur la langue de Macron. Parmi eux, beaucoup sont d’accord sur une chose : le discours du jeune candidat de 39 ans interroge. Bernard Lamizet, professeur émérite à l’IEP de Lyon, a publié un ouvrage avant les primaires qui détricote le discours des politiques. Depuis la sortie de Les mots et les voix, l’expert en sciences de l’information et de la communication écoute et lit avec attention ce que dit le favori des sondages. C’est-à-dire, pas grand-chose. « Le discours d’Emmanuel Macron s’inscrit dans une tradition du discours politique français qui se définit par l’absence de position », explique-t-il. Bernard Lamizet n’est pas le seul à souligner le manque de consistance dans les prises de parole du candidat au second tour. Dans un entretien au Journal Du Dimanche, un autre expert du verbe en politique – Damon Mayaffre – confiait que ses discours lui laissaient « une impression de vacuité idéologique ». Comprendre : même s’il clarifie un point de son programme, on se demande toujours ce qu’il veut faire.
« Élire un président ce n'est pas choisir une machine à laver »
Dans le flou, les spécialistes accordent au moins une chose au fondateur d’En Marche ! : sa cohérence rhétorique et linguistique. Cécile Alduy a également mouliné des millions de mots prononcés par les candidats à la présidentielle. Dans son ouvrage intitulé Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots, la professeure à Standford explique que le libéralisme total de Macron le protège des contradictions internes de son discours. En clair, s’il ne prend pas position, c’est qu’il est ouvert sur tout et cela lui permet d’incarner le changement. Mayaffre ajoute que cela « donne une impression de mouvement face à l’immobilisme des grands partis et à l’impuissance de ceux qui ont gouverné ». Résultat : les mots qu’il utilise sont volontiers tirés du champ lexical de la réussite. « Transformation », « projet », « innovation »… sont autant de termes qui fleurent la victoire qu’ils sont empruntés au langage de l’entreprise. Cécile Alduy ne s’y trompe pas. À L’Obs, elle explique qu’Emmanuel Macron « mène une sorte d’élaboration de produits qu’il va ensuite présenter comme si c’était le nouvel iPhone ».
Pour Bernard Lamizet, c’est bien là où le bât blesse. « On n’attend pas d’un président "des solutions qui marchent". On n’est pas en train de choisir une nouvelle machine à laver ». Le tacle vient glisser sur une autre critique dont le candidat a du mal à se défaire pendant cette campagne de l’entre-deux-tours : Emmanuel Macron envisage la politique comme un deal où chaque vote serait considéré comme une transaction bancaire. Plus PDG que porteur d’un mouvement, le fondateur d’En Marche! serait incapable de susciter l’adhésion de cette majorité qui n’aiment pas les patrons. Les sondages le pressentent : 60% des électeurs qui comptent voter pour lui déclarent le faire par défaut. Et pour le professeur de Lyon, c’est bien parce que son discours vise un cœur de cible : les classes moyennes supérieures ou disons-le avec une expression à la mode « les gagnants de la mondialisation ». « Quand vous remettez systématiquement l’entreprise au cœur de la politique, que vous évitez de parler des rapports de forces entre patronat et salariés, comment voulez-vous vous adresser aux jeunes précaires qui attendent qu’on leur garantisse une protection ? ».
À 4 jours du scrutin et à quelques heures d’un face-à-face télévisé avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron peut-il changer de discours ? « Évidemment non », répondent ceux qui le prennent aux mots. L’intéressé l’a dit lui-même : malgré l’abstentionnisme ou le vote blanc de celles et ceux qui ont voté Fillon, Mélenchon ou Hamon, il ne changera pas son programme. Encore moins la façon de l’introduire, selon Bernard Lamizet. « On ne se refait pas une culture politique en trois jours, souligne-t-il. Et la culture politique d’Emmanuel Macron, c’est lui-même. Aujourd’hui, il n’a pas de famille politique et souhaite sortir des partis. Or, c’est finalement ramener la politique à une question de personne. » Et si au final, Emmanuel Macron parlait d’Emmanuel Macron ? « L’une des premières choses qui m’a frappée en m’intéressant à lui, c’est le logo d’En Marche!, continue le spécialiste. Je me suis rendu compte que c’était ses propres initiales. Pour moi, cela témoigne d’une personnification totale du discours et du projet politique ». Seul face à la menace du Front national, et s’il n’avait cette fois-ci besoin de personne ?