Elle a vu le loup - "Wild" de Nicolette Krebitz
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Présenté en compétition internationale à Sundance en janvier 2016, "Wild" de l'actrice et réalisatrice allemande Nicolette Krebitz, traite de l'attirance inexorable d'une jeune femme pour sa part animale, dans une réalisation surprenante, pour l'un des films les plus originaux de l'année. Nous l'avons vu lors du Luxembourg City Film Festival, en compétition internationale.
On se souvient du personnage de Cousin, dans le roman d'Emile Ajar/Romain Gary: cet employé de bureau modeste, esseulé, perdu dans la grande agglomération de Paris à la recherche du grand (Fleuve) Amour qui, pour combler à un manque terrible d'affection, prenait, chez lui, la forme d'un python de deux mètres, Gros-Câlin, qui se nourrissait de souris blanches et enlaçait Cousin des anneaux de son grand corps souple et invertébré, pour lui procurer chaleur et consolation.
Nicolette Krebitz, jeune réalisatrice et actrice allemande, s'est intéressée à une relation similaire. Ania, interprétée par la révélation Lilith Stangenberg, est une jeune femme qui avance dans son existence à Halle, petite ville morne d'Allemagne de l'Est, sans véritablement sembler avoir de but ou d'attache. Ses parents sont absents, elle n'a vraisemblablement jamais connu son père, sa soeur est en couple et bien heureuse de ne pas avoir à se soucier d'elle, et son grand-père, le seul être pour lequel elle semble compter, est hospitalisé.
Dans le bureau sans intérêt où elle travaille, c'est sa faculté à presser les boutons de la machine à café sans poser de questions, ou sa docilité à répondre aux appels de son chef - comprendre, ce moment où il lance une balle contre la mince paroi qui le sépare d'Ania, qui sont préférées à ses capacités d'ingénieur IT.
Un jour, aux abords d'un petit bois au milieu de l'agglomération, Ania aperçoit un loup. Ils se regardent un temps, avant que la bête ne reparte, pour disparaître parmi les arbres dénudés par l'hiver.
Cette rencontre éveille en Ania un besoin, une fascination, un désir irrépressible et nouveau : celui de renouer avec sa part animale, avec son instinct primaire.
Une idée qui, sur le papier, peut sembler incongrue, compliquée, factice. Mais qui dans la réalisation de Krebitz et grâce au jeu de Stangenberg, nous plonge dans une fantasmagorie assumée, qui nous convainc, et nous emporte. Nous qui étions réticents, qui nous méfions déjà de la manière dont le sujet serait développé, nous voilà sous le charme, séduits par le traitement de cette idée, par la façon avec laquelle Krebitz l'explore, l'exploite, avec sensualité, avec humour, souvent, en parvenant à nous surprendre, et à aller au bout de cette réflexion poétique et fantasmatique.
Il y a cette scène incroyablement visuelle, une définition cinématographique de la volupté féminine, lorsque Ania enroule son corps de liane, svelte et souple, sur la rampe de l'escalier de son immeuble, et se laisse glisser, panthère dont le désir et le plaisir émanent de chaque pore de sa peau, contre le colimaçon de métal.
Il y a cette séquence de traque selon le rite lapon, où elle avance, armée d'une torche brûlant dans la nuit noire, dans ce bois qu'elle a délimité à l'aide d'un cordon de lambeaux de tissus colorés, comme ces amulettes que l'on accroche aux arbres en Inde ou en Asie, pour célébrer la nature, les dieux, ou s'en remettre au destin pour qu'il exauce nos voeux.
Wild est une fable, une fantasmagorie porteuse de multiples significations, dans laquelle il ne faut pas chercher à trouver un sens précis ou une symbolique figée, mais par laquelle on se laisse emporter tout d'abord avec surprise, jusqu'à tomber sous le charme de l'univers de la réalisatrice, et de ce personnage étrange, entre introvertie dérangée et femme libre, autisme et sensualité.
Il faut louer le choix de Lilith Stangenberg dans le rôle d'Ania, qui incarne parfaitement et tour à tour cette fille de Halle au parler enfantin, cette IT négligée qui arpente le supermarché local vêtue seulement du pardessus élimé de son grand-père, cette fille solitaire au regard trop profond, pour devenir, à la seconde d'après un être lumineux, à la chevelure d'or, à l'expression féline, au désir animal.
Le film charme et trouble à la fois, et laisse, à ceux qui auront pénétré cet univers particulier, une impression marquante, qui continue de grandir et de se révéler à nous dans toute sa force, longtemps après avoir quitté la salle obscure.
Une découverte.