Élections en Tunisie : entre déception et espoir
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Amélie Marin« Nous avons voté parce que nous avons l'espoir, parce que nous avons la foi, parce que demain sera meilleur », commente une jeune tunisienne de 24 ans, fière de montrer son doigt encré après avoir répondu à l'appel démocratique du dimanche 26 octobre. On dit que l'espoir est ce que l'on perd en dernier. Pour les Tunisiens, c'est encore plus vrai.
Depuis que les citoyens ont renversé leur dictateur Ben Ali, la situation dans le pays a empiré. Les prix ont augmenté alors même que les gens perdaient leur travail, la menace terroriste s'est faite de plus en plus grande et les partisans des différentes tendances politiques se sont affrontés dans la rue avec violence. La tension a déclenché l'assassinat de deux leaders de l'opposition en 2013, Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd. À la fin de cette même année, le parti islamiste Ennahda, qui avait gagné les élections de 2011 et qui gouvernait avec le CPR (Congrès pour la République, ndlr) de Moncef Marzouki et Ettakatol, coalition connue comme la « Troïka tunisienne », a démissionné devant son incapacité à faire face à la situation. En lieu et place s'est installé un gouvernement technocratique avec Mehdi Jomaa en tête.
En ces temps de crise sociale et économique, peu de gens ont pensé que la Tunisie célèbrerait des élections si pacifiquement démocratiques comme cela a été le cas, et encore moins avec un taux de participation relativement haut. Les données accordées par l'ISIE, l'Instance Supérieure Indépendante pour les Élections, signalent un peu plus de 60% de participation. Mais on ne peut passer outre une information : à Sidi Bouzid, là où commença la révolution, berceau des révoltes arabes et l'une des villes les plus pauvres où se ressent une protestation permanente, le taux de participation fut le plus bas, autour de 48%. Par ailleurs, les 60% sont calculés sur le nombre total de personnes inscrites pour voter, autour de 5 millions, dans un pays avec plus 8 millions de citoyens en âge de voter.
Les résultats
Le parti Nidaa Tounes est sorti vainqueur de ces élections, avec 85 sièges au Parlement, sur un total de 217. Ennahda a remporté quant à lui 69 sièges, se situant comme la seconde force du pays. Le premier est un nouveau parti créé en 2012, à tendance libérale et dirigée par Beji Caid Essebsi, ministre sous Habib Bourguiba et député du parti au pouvoir pendant une brève période de l'ère Ben Ali. Le second, Ennahdha, parti islamiste qui a modéré son discours après les protestations émises par de nombreux citoyens en 2013 envers sa vision trop conservatrice, est dirigé par Rached Ghannouchi, un des politiciens les plus éminents et connus de la sphère politique nationale. Ils partagent une statistique : leurs leaders n'appartiennent pas à la classe sociale qui a été actrice de ces élections, celle des jeunes. Ghannouchi a 73 ans, et le leader du parti islamiste Essebsi, 87. Différents observateurs européens qui ont supervisé les élections ont félicité la Tunisie pour le succès de ce scrutin. Michael Gahler, porte-parole du groupe d'observateurs du Parlement européen, a déclaré ce mardi célébrer le remarquable triomphe de l'ISIE et sa capacité à organiser des élections transparentes, professionnelles, qui plus est en un temps si court.
La désaffection des jeunes pour la politique
Beaucoup de citoyens tunisiens ont tenu à préciser dimanche que les élections n'étaient qu'un début. À la sortie d'une école du quartier du Bardo, où vivent beaucoup de jeunes étudiants qui se sont unis aux protestations de 2011, un jeune nous expliquait que pour eux, tout était perdu, mais qu'il votait pour assurer le futur de ses enfants.
« C'est nous qui avons favorisé le changement, mais maintenant, il n'y a rien pour nous, personne ne nous représente », disait un autre jeune. Ils se sentent trompés, déçus, ne se sentent représentés par aucun parti, mais ils votent parce qu'ils n'ont pas perdu espoir. Ils sont conscients du fait que la transition se fait lentement, qu'il faut de la patience, et ils sont sûrs que tout ira mieux dans quelques années. Un autre jeune qui surveillait un des partis pendant la journée d'élections, nous a affirmé que pour lui tout cela ne fut pas une révolution, mais plutôt une révolte. « D'ici quelques années nous saurons si ce fut une véritable révolution », fait-il remarquer. Par ailleurs, un jeune chauffeur de taxi nous disait qu'il n'irait pas voter parce qu'il pense que tous les politiciens ne recherchent que le pouvoir et l'argent, vision partagée par la majorité des jeunes qui ont décidé de ne pas voter.
Dans le quartier de Bab Souika, où vit la population la plus défavorisée, où dès que l'on y met un pied on voit de tous côtés les poubelles et le chaos qui caractérise les endroits les moins développés, les écoles étaient pleines et les gens restaient après avoir voté pour discuter de l'enjeu.
Ici, on voit beaucoup plus de femmes voilées et moins de jeunes votants. Une femme nous disait qu'il fallait être patients et qu' « il faudrait du temps pour apprendre à pratiquer la démocratie ». « Incha'Allah » (« Si Dieu veut »), répondaient ces femmes quand on leur demandait si elles continuaient à croire au changement et si elles pensaient que les choses iraient mieux.
Question de sécurité
À Enasser, un des quartiers les plus riches de la ville, « nouvelle Tripoli » comme l'appellent les Tunisiens à cause du nombre élevé d'immigrés venus de Lybie, une fille nous expliquait en sortant du vote qu'elle veut que la sécurité soit la préoccupation première. Beaucoup affirment que la situation a changé après la révolution : des jeunes ne sortent plus seuls le soir dans la rue et se sentent moins en sécurité qu'avant.
Cette vision contraste avec le calme qui a caractérisé la journée électorale, qui transparaissait sans problème dans cette atmosphère si pacifique, qui sembla surprendre beaucoup. Mais la tranquillité d'un pays menacé par le terrorisme et qui a arrêté en à peu près un an environ 1500 suspects djihadistes, n'a pas de prix. Plus de 80 000 militaires, policiers et agents de la Garde nationale ont veillé sur les lieux de vote avec d'énormes Steyer (fusils d'assaut autrichiens) plaqués sur la poitrine et le doigt sur la gachette comme s'ils allaient devoir commencer à tirer d'une minute à l'autre.
Les élections ne sont que le début d'une possible transition encore mise en doute et dont on ne pourra connaître le résultat que d'ici quelque temps. Mais cela reste sans nul doute un petit succès pour ce pays arabe qui vécut pendant de nombreuses années sous dictature et sans tradition démocratique, où la pression islamiste est haute. Les Tunisiens restent confiants quant à la capacité de leur pays à se transformer. Parce que la Tunisie n'est pas la Syrie, ni la Lybie ni l'Égypte, ont tenu à préciser dimanche des citoyens de ce pays.
Translated from Elecciones en Túnez: entre la decepción y la esperanza