Elections : achetez une voix en Bulgarie
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Jennifer MourreDans certaines régions de Bulgarie, une voix peut valoir jusqu’à 50 euros. Peu après l’entrée du pays dans l’UE, lors de l’élection nationale de 2007, le problème était si répandu lors des élections locales que Bruxelles a commencé à s’inquiéter.
Alors qu’elle est toujours moins développée que ses homologues occidentales, la ville de Sofia ressemble à la plupart des autres capitales de l’Est de l’Europe. En se balladant, on peut fréquemment rencontrer des panneaux « wifi », des boutiques de vêtements dernier cri, et des jeunes gens qui se retrouvent dans des cafés branchés. Mais la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l’UE. Dans les régions plus rurales, à moins de trente kilomètres de la capitale, le pays se bat avec ses plus gros problèmes : le crime organisé et la corruption.
Les seigneurs féodaux
Tout comme pour le reste de l’Europe, les fonds de l’UE pour la Bulgarie sont distribués localement, et bien souvent donc ce sont des petites communes corrompues qui décident elles-mêmes comment elles dépenseront l’argent. La Commission européenne a gelé une aide de 500 millions d’euros à l’été 2008, n’étant plus assurée qu’elle serait dépensée de manière éthique. Avec les prochaines élections nationales qui auront lieu cet été, probablement le même jour que les élections pour renouveler le Parlement européen (du 4 au 7 juin 2009), les défenseurs de la démocratie se démènent pour s’assurer que le pays ne soit plus embarrassé par des histoires de voix achetées.
L’achat de voix a toujours plus ou moins existé dans de nombreux pays de l’ex-URSS, mais en Bulgarie cette pratique est progressivement devenue une activité organisée. « Avant, l’achat de voix était limité aux quartiers les plus pauvres », affirme Georgi Stoytchev, directeur exécutif de l’Open society institute à Sofia. « Tout d’un coup, cette pratique a commencé à toucher les communautés les plus riches. »
« Ils se conduisent comme des seigneurs féodaux »
Grâce à la corruption, les chefs du trafic local et du crime organisé arrivent au pouvoir et s’octroient des contrats et des financements. « Ils se conduisent comme des seigneurs féodaux », affirme Svetlana Lomeva, directrice exécutive de l’Ecole bulgare de politique. « A l’heure actuelle, on compte environ 400 partis en Bulgarie, car beaucoup forment leur propre parti afin d’obtenir un mandat. »« Cela leur permet d’agir en toute impunité », confirme la parlementaire bulgare Maria Coppone. En tant que membre bruyant du parti d’opposition (centre-droit) au gouvernement socialiste, elle affirme que cela a à voir avec l’effondrement des principaux partis en Bulgarie. « La mafia utilise les partis locaux pour contrôler les villes, dit-elle, et à présent, elle se prépare à acheter la prochaine élection. »
Comment ça marche
Les hommes d’affaires les plus acharnés peuvent « faire » voter les employés pour eux, soit en leur promettant une augmentation, soit en les menaçant de les rétrograder. N’importe quel individu peut être acheté relativement facilement, si on lui donne entre 5 et 50 euros, en fonction du niveau de vie de la population locale, affirme Vanya Kashukeeva-Nusheva, coordinatrice de programme pour Transparence internationale à Sofia. Puis, ils peuvent prouver qu’ils ont voté en prenant en photo leur bulletin de vote avec leur téléphone portable. Ou bien, celui qui achète la voix peut fournir à la personne un bulletin déjà rempli, en échange d’un bulletin vierge à rapporter le jour de l’éléction et du paiement.
En général, un acheteur de voix achète un lot de milliers de voix dans une localité. Il est très simple de vérifier pour qui les gens ont voté en observant comment les municipalités ont voté, puisque les votes sont comptabilisés localement et les résultats sont publiés. « C’est très difficile d’engager des poursuites », affirme Stoytchev. « Certains hommes d’affaires augmentent tout simplement les salaires des gens qui ont voté pour eux, ou bien ils paient les électeurs comme s’ils participaient à la campagne. Lors de la dernière élection un homme d’affaire de la ville de Sandanski, en fait c’est lui qui dirige la ville, a été surpris en train d’acheter des voix, ajoute Lomeva. Il a reçu une amende de 2000 leva (1000 euros) et il est toujours au pouvoir. » Les partis principaux sont aussi impliqués dans l’achat de voix, mais à une échelle locale. « Leurs organisations locales sont totalement hors de leur contrôle. Elles ont des liens plus forts avec les affaires locales qu’avec Sofia. »
La racine du problème
Ironiquement, l’UE exige à présent des réformes à ce sujet, mais il se trouve qu’elle est en partie responsable de ce problème. Les fonds attribués par l’UE sont distribués localement, et lors du processus d’adhésion, les sièges dans les municipalités sont subitement devenus très importants car c’étaient eux qui répartissaient l’argent. Au même moment, la montée en flèche des prix de l’immobilier de ces dernières années a rendu les sièges locaux très importants car c’étaient eux qui contrôlaient les attributions de permis de construire.
Kashukeeva-Nusheva de Transparence international affirme que les gens n’ont plus foi en les principaux partis politiques à cause de l’augmentation de la pratique d’achat de voix. « Les gens n’ont plus l’impression que les partis politiques représentent leurs intérêts, dit-elle. Le taux d’abstention augmente, alors les gens qui votent toujours ont de plus en plus d’influence. » Si les gens croient que le gouvernement est inefficace et inutile, ils seront de plus en plus enclins à vendre leur voix « sans valeur ». Les résultats de récents sondages montrent que moins de 5 % des Bulgares y songeraient. Pourtant, il semblerait que le nombre de personnes qui vendent vraiment leur voix soit bien plus élevé.
Les ONG travaillent fébrilement
Transparence international et Open society ont rédigé un « Pacte d’intégrité ». Signé par la plupart des partis politiques, ce pacte les fait s’engager à mettre en place des règles internes de tolérance zéro concernant l’achat de voix, mais aussi à promettre de créer un organisme de contrôle des campagnes dans le gouvernement. Le pacte appelle également à une transparence accrue dans le financement des partis et à la création d’un registre public des donateurs de campagne, qui ne pourraient à l’avenir faire des dons que par transfert bancaire, et plus en liquide. « Si un parti a accès à beaucoup ‘d’argent caché’, il ne pourra pas financer sa publicité avec cet argent car il serait obligé de le déclarer, affirme Stoytchev. Du coup, ils l’utilisent pour acheter des voix. »
L’aspect le plus controversé du pacte, et la clause qui a dissuadé la coalition de socialistes et le parti de la minorité turque de le signer, consiste en un appel à confier le comptage des voix à des bureaux régionaux, plutôt qu’à des bureaux locaux comme c’est le cas actuellement. Ainsi, il serait plus difficile de savoir s’il y a eu des voix achetées. « On ne peut pas les arrêter, mais on peut les limiter, affirme Stoytchev. Nous voulons dire, allez-y prenez l’argent, et puis allez-y et votez pour qui vous voulez, car les acheteurs de voix n’ont aucun moyen de vérifier. »
Stoytchev et Kashukeeva-Nusheva pensent tous deux que sans la signature des socialistes, le pacte d’intégrité a moins de valeur, et que la clause pour la création de bureaux de comptage régionaux est non négociable. Dans le même temps, Maria Cappone pense que les hommes politiques peuvent aider en s’assurant que les gens savent que vendre sa voix est non seulement un crime, mais c’est aussi nuisible au pays. Sa campagne « sans corruption » appelle à une réforme complète du gouvernement national. Finalement, les hommes politiques bulgares eux-mêmes doivent tordre le cou à la corruption dans les gouvernements locaux. « Bruxelles peut bien avoir tous les rapports et le contrôle, » dit-elle. « Mais au final c’est à nous de faire le boulot ici. Les gens doivent à nouveau nous faire confiance. »
Translated from Elections, elections: buy a vote for 50 euros in Bulgaria