El Chorro : une via ferrata royale pour les grimpeurs européens
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Les grimpeurs d’Europe du Nord se donnent rendez-vous chaque hiver dans le Sud de l’Espagne où se dresse l’un des meilleurs lieux au monde pour faire de l’escalade en cette saison : El Chorro ou le rendez-vous des hippies dans un îlot de verdure niché en plein désert andalou.
El Chorro. Latitude : 36°49′27.804” Nord ; longitude 4°42′21.816” Ouest. Une double rangée de vans longe l’unique route du village. Les plaques d’immatriculations annoncent la provenance des visiteurs : Danemark, Allemagne, Angleterre, France. Y arriver le soir, c’est découvrir ses pairs dans leur fief : le refuge qui est aussi le seul bar d’El Chorro. A l’entrée, un perroquet souhaite la bienvenue aux voyageurs. Autour de sa cage, quelques posters de stars de l’escalade, jaunis et cornés par le temps, sont épinglés sur le mur. Des éclats de voix invitent à entrer : dans un anglais international, chacun conte le récit de sa journée. Un guitariste met de l’ambiance accompagné d’un Djembé endiablé. A la mode flamenco, chacun frappe dans ses mains. Encouragées par son public, les dreadlocks du musicien s’agitent à la vitesse de sa main gauche sur les cordes.
Dans un coin, le discret Andrés, doyen de la salle, arbore un sourire attirant. Lui parler, c’est découvrir un pan d’histoire d’El Chorro. Y voyager avant même d’y mettre les pieds. Assis sur une chaise, une canne à la main, et deux brins de romarin dans une poche de chemise cousue sur le cœur, l’homme raconte à qui le veut ses soixante années vécues dans les grottes du site. « Nous avions même la télé », insiste-t-il fièrement, allongeant les récits de ces temps passés auprès de son troupeau dans la montagne. Très vite, découvrant le sentier longeant des maisons adossées à la colline, on comprend sa vie de berger.
Dans le cliquetis des mousquetons
Des habitations troglodytes ont été agencées par les premiers venus au fur à mesure des années. Leurs murs se détachent de la roche grâce au scintillement de petits miroirs qui encadrent les portes. Sur la terrasse, quelques bières de la veille attestent de l’occupation éphémère des lieux. Quelques vêtements colorés sèchent au soleil. Certains grimpeurs présents pour un long séjour cultivent leur potager. A cette période, les grottes aménagées sont toutes occupées. Les récits du « Refuge » invitent les esprits aventuriers à se lancer sur la via ferrata [l'itinéraire sportif situé dans une paroi rocheuse] où Alfonso XIII vint en 1921, laissant ses lettres royales au chemin. De prouesses en prouesses, le cliquetis des mousquetons qui se balancent de points d’attaches en points d’attaches résonne dans les gorges.
Les trois kilomètres du chemin aérien du « camino del Rey » furent construits au début du siècle, de 1901 à 1905, afin de permettre la maintenance des canalisations de Malaga, situé à 50 kilomètres au Sud. Désaffectées depuis la nouvelle installation hydroélectrique, le chemin a été fermé au début de l’an 2000. Des trous parsèment la passerelle, laissant entrevoir le vide qui sépare de l’eau. En chemin, une tente parait nichée dans un paysage lunaire. Soudain, un bruit de tonnerre. Le train de la REF blanc et rouge s’engouffre dans les gorges à la vitesse de l’éclair direction Malaga. Au bout du chemin, une vue imprenable sur une prairie verdoyante. Les gorges cachent égoïstement cette vue depuis le village. Au milieu, une bergerie de pierres. Qui a bien pu y vivre ? Un ami d’Andrés ? Des tags revendicatifs y ont remplacé toute vie agricole.
L’escalade n’y est qu’un prétexte au rire, au chant, aux rencontres, au partage. L’escalade n’est qu’une excuse pour expérimenter un autre mode de vie, perdu tout en bas de l’Europe. Une vie où l’on grimpe pour atteindre une sensation indéfinissable de « liberté ».
Crédits photos : omad/flickr; shwechen/flickr; gabirulo/flickr