Edition of Contemporary Music, 40 ans de jazz en Bavière
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Elise CompagnonUn label discographique présent dans toutes les collections privées de musique. Un fondateur, Manfred Eicher, qui a dédié sa vie à la recherche de la musique la plus pure, « la plus près possible du silence ».
Nous vous emmenons à la découverte des secrets de Meredith Monk, Keith Jarreth, Jan Garbareck, Pat Metheney, Charlie Haden, Stephan Micus, Anouar Brahem, Anja Lecher et de tous les artistes qui ont contribué à la réalisation d’un projet musical né il y quarante ans. Le jour où un jeune de vingt six ans de Lindau, en Bavière, demanda un prêt de quelques milliers de marks.
« La musique est au centre de ma vie – a dit Manfred Eicher. Elle est son cœur, d’où tout se dégage et y retourne inlassablement. » On raconte que Eicher aurait demandé un prêt de 16 000 marks à un magasin de disque pour réaliser son rêve.
La recherche d’une musique ancestrale
Il existe depuis toujours une musique ancestrale : une voix primitive qui prend sa source dans l’âme du monde et traverse la nature. Meredith Monk capture cette musique et l’élabore, comme si ses cordes vocales fonctionnaient à l’image d’une toile primitive. « Je travaille au travers des fissures, là où la voix commence à danser, le corps à chanter et où le théâtre devient cinéma », déclare Meredith. Née à New York, elle a commencé son travail dans les années 60 recherchant une religiosité originelle dans la musique et l’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui. On pourrait avancer que Meredith a dédié sa vie à la création d’une langue nouvelle, capable de raconter le cycle de l’obscurité et de la lumière, ou de traduire la voix du vent.
C’était cela que désirait Manfred Eicher. Donner une voix au silence. Mais les 16 000 marks ne suffisaient pas. Il avait besoin de plus d’argent, et celui-ci arriva après une lettre écrite à Keith Jarrett. Ce dernier lut la proposition de Manfred avec intérêt et y répondit positivement. C’est ainsi que Facing You, un album de pur piano, vit le jour et reçut un succès considérable, ce qui donna des ailes au rêve d’Eicher.
L’ECM (Edition of Contemporary Music), dont le siège est à Munich, est devenu en quelques années un label de jazz majeur. Outre les disques produits après celui de Jarrett, le catalogue de la maison de disque allemande s’enrichit grâce à des noms tels que Jan Garbarek, Chick Corea, Pat Metheny, The Art Ensemble of Chicago et Charlie Haden. Mais le jazz, même mélangé ou réinventé, reste un genre à part entière, et Eicher le savait. Son envie était de pousser les expérimentations à l’extrême, jusqu’à savourer les confins du genre.
Stephan Micus est né à Stuttgart. Il est capable de jouer de nombreux instruments, trouvés aux quatre coins du monde, aussi divers qu’ils soient. La plupart de ses albums sont enregistrés dans une solitude monacale, superposant plusieurs pistes et multipliant sa voix. Pur esprit nomade, Stephan Micus concentre dans ses compositions l’infinie beauté de la désolation, poussant son auditeur là où les frontières disparaissent. On devient tout petit à l’écoute de ses œuvres, qui sont des pages de journal gribouillées dans la poussière. Comme dans un roman de Dino Buzzati, Stephan est le roi qui cavale sans s’arrêter pour rejoindre la fin de son royaume, envoyant des lettres à qui n’existe peut être plus.
La découverte d’Arvo Pärt pendant un voyage en voiture
Eicher, comme Stephan, voulait écouter le monde, et nous faire don de son expérience. Un jour de 1984, il se trouve dans sa voiture : les kilomètres qui défilent, les mains sur le volant et la radio qui joue la symphonie d’un compositeur inconnu. Cela a été une illumination. Ce compositeur, c’était Arvo Pärt et cette symphonie, « Tabula Rasa », est rapidement devenue un morceau phare de la maison de disque allemande, en inaugurant une nouvelle série du catalogue dédié à la musique classique contemporaine. « Officium », avec le saxophone de Jan Garbarek et le groupe vocal Hilliard Ensemble ainsi que « Melos », de Vassilis Tsabroupolos (piano) et Anja Lechner (violoncelle), en hommage au mystique Gudjieff, en sont tirés. Un nouveau son a vu le jour, c’est le « son ECM » : des glaces de l’Arctique aux déserts africains, Eicher nous a fait découvrir des musiciens capables de raconter le passé en créant le présent, disciples et créateurs d’une liturgie musicale qui traverse les cultures.
Anouar Brahem est Tunisien et joueur d’oud, luth répandu dans les pays du Moyen-Orient. Rythme des mains enlevé, âme arabe et goût européen. Les cordes de son instrument sont les vagues du désert, et ses compositions renferment toute la mélancolie de celui qui a parcouru un long chemin. Il a enregistré une dizaine de disques avec l’ECM, et c’est comme si chacun d’eux enveloppe le chapitre d’une histoire beaucoup plus grande, et qui reste encore à raconter.
Le catalogue de l’ECM rassemble aujourd’hui près de 1.200 titres. Il fait la part belle également au cinéma : il suffit de penser aux bandes originales des films de Godard et d’Angelopoulos, ou à l’album de Stefano Battaglia dédié à Pasolini, ou aux musiques du quartet de François Couturier, inspirées des films de Tarkovski. Une attention particulière est accordée à la réalisation des albums : ce n’est pas un hasard si les pochettes de la maison de disque sont devenues en 1996 le sujet d’un livre, Sleeves of Desire (« Les pochettes du désir » - Lars Müller Publishers, Badem).
« Le contenu est la chose la plus importante – a dit récemment Eicher. Je veux faire des albums qui ont un début et une fin, qui s’écoutent comme un film ou un roman. » Dans une époque comme la notre, musicalement marquée par les « download » et autres « playlist », ces mots se veulent le rappel que certains albums ne se résument pas à une suite de morceaux, mais veulent être quelque chose de plus complexe, peut être même quelque chose d’insaisissable.
Photos : Stéfan/flickr: Texte : chiarashine/flickr; Vidéo: mmonkhouse/youtube, anarchemitis/youtube;
Translated from Edition of Contemporary Music, quarant'anni di suoni jazz in Baviera