Duel de saucisses
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Philippe-Alexandre SaulnierTchèques et Slovaques ont demandé à l’Union européenne d’intervenir dans une guerre de saucisses qui les oppose. Heureusement, ils ont ordonné un cessez-le-feu en juillet dernier.
Le torchon brûlait déjà depuis longtemps entre Tchèques et Slovaques. Mais le danger semble désormais écarté. Après des mois d’âpres querelles, les deux anciens partenaires ont fini par se réconcilier en juillet autour d’une question fondamentale. Qui des deux est en droit de revendiquer la paternité d’une appétissante saucisse au lard dont le fumet « embaume » autant les rues de Prague que les places de Bratislava ?
Ce qu’un observateur de passage pourrait prendre hâtivement pour un canular est cependant a rangé sur les bords du Danube et de la Vlatva dans la rubrique des affaires d’honneur sur lesquelles il serait mal venu de plaisanter. Question de fierté nationale ! Cette succulente charcuterie appelée Špekáčky ou Utopenci en République tchèque est revendiquée comme un pan inaliénable du patrimoine culinaire des deux pays. Dégoulinantes de graisse, ces saucisses courtes et adipeuses se savourent avec la même gourmandise des deux côtés de l’ancienne « frontière ». A la première bouchée, quand on vient de l’extérieur, le goût peut toutefois sembler un peu étrange. Car, pour être tout à fait comestibles, elles doivent être plongées tout d’abord dans une saumure à l’acidité très prononcée, puis copieusement enrichies d’oignons et d’une bonne dose d’un paprika à la saveur âcre et volcanique. Mais avec une bonne bière, ça passe tout seul !
Lutte pour l'AOC
Voilà pourquoi les Slovaques au début de l’année, ont voulu à l’insu de leurs voisins, porter la cause de cette saucisse de discorde à Bruxelles afin de la faire officiellement labellisée comme un fleuron de la gastronomie slovaque en prétextant que la Špekáčky tchèque n’était l’œuvre que de plagiaires. Faute de quoi, ils se verraient dans l’obligation de déposer plainte pour contraindre leurs voisins à trouver un autre nom à leurs saucisses.
Cette attitude a fortement contrarié les Tchèques qui ont exigé de leur Ministre de l’agriculture de montrer à ces Slovaques impudents de quel bois on chauffe les saucisses. Immédiatement, Prague, interpellant Bruxelles, a illico mis son veto aux exigences slovaques. Et, au mois de mars dernier, c’est le plus sérieusement du monde que Peter Gandalovic et Zdenka Kramplova, les deux ministres de tutelle commissionnés pour résoudre le piquant dilemme, se sont donc assis autour de la table de négociations afin d’atténuer cette flambée de paprika.
Du soja dans le gras
Bruxelles a fini par mettre d’accord les plaignants à la mi-juillet. A l’issue de quoi, il a été décrété qu’aucun des deux détracteurs ne s’approprierait le nom revendiqué. En revanche, chaque pays s’est vu attribuer la paternité officielle de deux recettes locales. Deux saucissons sont également garantis slovaques : le Spišské et le Liptovský. Les Tchèques, quant à eux, veilleront sur la notoriété du Lovecký et de la saucisse au lard Špekáčky . Cependant, les deux parties se sont engagées à protéger avec le même zèle les quatre spécialités charcutières réunies.
Au passage, des commentateurs constatent que depuis un certain temps des vendeurs ambulants peu scrupuleux en profitent pour fourrer les fameuses saucisses de soja ou d’ingrédients un peu douteux. C’est donc en poussant un long soupir de soulagement que le chroniqueur des Nouvelles de Lidove commente l’heureux épilogue de cette discussion capitale autour d’une saucisse : « Puissent le bon Dieu et l’Union européenne mettent pour toujours nos saucisses sous leur protection ! »
Translated from Kampf um das Speckwürstchen