Du Maroc en Espagne, des estomacs pleins de haschich
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« Le Rif – paradis du Kif ». Une rime qui est devenue le slogan touristique de Chaouen, un village montagnard du Nord marocain, réputé pour sa médina bleue et ses champs de haschich. De là partent des tonnes de chanvre vers l’Europe.
« Première fois à Chaouen ? Bienvenue mon ami. Tu veux quelque chose à fumer ? » A peine arrivée et déjà sollicitée. Le Rif, région montagneuse du Nord marocain, vit au rythme des tambours, davantage appréciés pour battre les branches de chanvres et en extraire sa résine que pour sa musicalité. En 2006, le Maroc a été déclaré premier producteur et exportateur de haschich par un rapport de l’Office des Nations-unies contre la drogue et le crime. Chaouen est devenue « l’Amsterdam » espagnol. L’Européen y est par définition bon consommateur. Ici, la culture du haschich est traditionnelle. Les phéniciens utilisaient le chanvre pour s’habiller, avant de découvrir ses effets euphorisants. Encore aujourd’hui, les Rifains le fument sous forme de kif, bourré dans une pipe avec deux tiers de marijuana et un tiers de tabac noir. Mais la demande européenne, dans les années 70, a radicalement transformé les enjeux de l’industrie, multipliant par trente à quarante les récoltes en deux décennies, selon l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD).
Paysans précaires
« Nous sommes les premiers fournisseurs de plaisir en Europe. Tant qu’il y aura de la demande, il faudra continuer de produire. »
Isolé du Maroc par son relief montagneux et son taux de démographie élevé, le Rif reste une région très pauvre manquant d’équipement et d’aide au développement. A l’époque du protectorat franco-espagnol, seule la partie sous contrôle de l’hexagone a interdit la culture de cette drogue. A la fin des années 50, le gouvernement n’a pas pu contrarier les principaux combattants ayant permis l’indépendance marocaine.
Si les villages s’organisent pour réaliser des plantations en terrasses, le relief accidenté ne favorise pas l’agriculture. Les champs de cannabis sont perceptibles au milieu d’un paysage aride ou dans des forêts qui perdent du terrain à une vitesse vertigineuse. En vingt ans, les alentours de Ketama ont substitué 20 000 hectares de forêt contre des champs de cannabis. Et la tendance à la monoculture a déstructuré la société rifaine.
Beni Maala, entre montagne et mer, est un petit village des alentours de Chaouen. La proximité des côtes euro-africaines joue en faveur du trafic de hasch. Le cannabis pousse sur un flan de la montagne et embarque pour l’Europe de l’autre côté. Deux types de plantations sont réalisés. Les plants d’un mètre offrent une qualité supérieure. Ceux de trois mètres sont par exemple envoyés à Amsterdam. Seuls les hommes s’occupent de la production. Les femmes sont reléguées aux tâches domestiques. Des fagots de bois immenses sur le dos, elles cuisinent et entretiennent la ferme. Leurs vies restent précaires. Les familles ne touchent presque rien, à savoir 1 à 5 % de la valeur finale du hasch sur le marché, soit 10 000 à 70 000 dirhams (900 à 6300 euros) à l’année. Beaucoup aspirent à suivre le même chemin que la drogue. Passer le détroit et vendre leur main d’œuvre en Europe.
Saisies en Espagne
La mafia qui s’occupe du transport gagne le jackpot en millions, voir en milliards. L’or rifain voyage par barcasses ou estomacs. Des passeurs ingurgitent des « caramels » emballés dans du cellophane. Portions vendues également aux touristes pour passer la frontière. En 2004, 80 % des saisies européennes de haschich proviennent du Maroc, dont la moitié interceptée en Espagne… Elles viennent remplir la colonne de faits divers dans les journaux ibériques. La drogue n’est pas le seul leitmotiv des milieux mafieux. Le Rif est une terre de passage des clandestins. Des câbles sont installés sur les sentiers qu’ils empruntent la nuit et les grottes regorgent d’un monde parallèle.
Depuis 2005, des opérations de fauchage tendent à éradiquer les champs de cannabis. La région de Larrache, au Sud de Tanger, est citée en exemple. Selon l’Organisme internationale de contrôle des stupéfiants (OICS), le Maroc a réduit de 40 % ses surfaces de plantations entre 2004 et 2005. Rabat souhaite en finir avec le haschich d’ici à 2018. Parcs nationaux, équipements touristiques… Le développement alternatif est en vogue. Des essais sont réalisés en partenariat avec des financements européens afin de substituer le haschich par des cultures alternatives ou par le tourisme vert destiné aux fans de trekking. Mais comment convaincre les agriculteurs de passer de la culture du cannabis à celle de l’orge, douze à seize fois moins rentable ? Autour de Chaouen, les paysans restent optimistes. Le terme « kif » vient de l’arabe « kef », « plaisir » en français. « Nous sommes les premiers fournisseurs de plaisir en Europe, traduit Amine, guide de montagne. Tant qu’il y aura de la demande, il faudra continuer de produire. »