Du côté de la police…
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Avec le recul d’une semaine maintenant, nous pouvons essayer d’envisager les “événements” – comme les nomme le gouvernement – de différents points du vue. Les manifestations de lycéens et étudiants continuent, les recteurs d’universités soutiennent d’ailleurs les revendications de cette jeunesse.
Toutefois, j’aurais bien voulu savoir ce qu’il se disait dans les milieux de la police, et comment les événements avaient été vécus par ces hommes qui appartiennent à une institution décriée dès le début de l’embrasement.
J’ai été étonnée de ne trouver dans la presse grecque que j’ai pu consulter, aucun reportage poussé sur le monde de la police, très critiqué. Dès les premières heures, plusieurs commentateurs ont jugé presque “logique” qu’un tel accident se produise, dans la mesure où chacun peut constater la manière forte employée régulièrement par les forces de sécurité grecques (voir les billets Réactions à chaud et Qui se cache derrière les cagoules noires?). Quelques jours plus tard, je fus attirée par le titre d’un article de Stavros Tzimas, dans Kathimerini, intitulé “Sous l’uniforme”. Mais en fait de reportage, il s’agit du portrait d’une jeune recrue qui, nous dit-on, “était un garçon poli, plein de bonnes manières”, qui a choisi la police “poussé par l’incertitude du monde du travail et par la pression de ses parents, ouvriers journaliers”. Très fiers de voir leur fils se préparer un avenir stable et sûr en étudiant à l’école de police, les parents ont pourtant décelé rapidement des indices d’un changement profond chez le jeune homme, quelques temps après son entrée dans l’école: “Quand il entend le mot ‘Albanais’, il devient fou. Mon fils n’était pas comme ça avant, je ne sais pas ce qu’on leur raconte là-bas”. Qu’apprend-on réllement dans ces écoles, voilà la question posée par le journaliste – mais à laquelle il ne répondra pas. Ils entrent dans les écoles de préparation après le lycée, mais “subissent-ils des tests psychologiques, des contrôles de leur motivation professionnelle ?” Les questions restent malheureusement en suspens, et l’opinion publique en déduira de bien vilaines choses.
(Merci à Pepoula pour le reportage photo à Thessalonique !)
D’autant plus que le comportement du garde spécial accusé d’avoir tué le jeune garçon place Exarcheia samedi 6 décembre n’a pas redoré le blason des forces de police. Non content de nier catégoriquement toute accusation de meurtre et de ne pas formuler une seule parole d’excuse à l’adresse de la famille en deuil, il dresse un portrait à charge de la victime: un jeune ado des quartiers riches d’Athènes, connu pour être un agitateur dans les stades qu’il fréquentait, et élève indiscipliné qui aurait été exclu de son établissement privé très chic (à lire, entre autres, dans Ta Nea). Emoi dans la presse: “Il salit la mémoire d’Alexis” titrait mercredi 10 décembre la plupart des journaux. L’établissement que fréquentait le jeune garçon dément formellement le portrait dressé par le policier. Petit à petit, il m’a semblé que la presse faisait le procès du meurtrier présumé, à la place de la justice. Ainsi, dans le journal Ethnos, un long article était consacré à la déposition faite par le policier encore en détention provisoire. Plusieurs choses m’ont frappée dans la façon dont le journaliste rend compte de son témoignage. Tout d’abord, il l’appelle ironiquement “Rambo”. Chacune de ses déclarations est d’emblée considérée comme mensongère (certaines semblent effectivement l’être, maintenant que l’on sait qu’il n’a pas tiré en l’air mais plutôt vers le sol). À la position sociale de sa victime s’oppose la description de ses propres conditions de vie: un homme soutien de famille qui travaille depuis l’enfance pour aider en particulier ses deux soeurs, handicapées mentales. La présentation de la situation prend une allure de conflit social (population estudiantine aisée versus une police qui recrute dans des classes populaires embrigadées).
“Que savait la police sur les cagoulés?” se demandait-on dans To Vima dimanche 14 décembre ? S’appuyant sur un rapport de la Sûreté d’Etat, un journaliste affirme que les actions des groupuscules anarchistes avaient plutôt tendance à diminuer ces deux dernières années, mais que parallèlement le nombre d’arrestations s’est intensifié, pouvant engendrer une tension plus forte. En fait, tout porte à croire que la police est très bien informée sur le nombre et les actions de ces groupes: 27 lieux de réunion ont été recensés en Attique (dont 13 au centre-ville et 6 dans les universités), 80 à 90 % des personnages actifs dans ces groupes sont connus. Mais, de l’aveu des responsables de la police, “il est difficile de prouver leur implication dans les casses des derniers jours, à moins de les prendre sur le fait”. Seuls deux des anarchistes ‘fichés’ ont été arrêtés la semaine dernière. Le secteur de la place Exarcheia est sous perpétuel contrôle policier avec des agents en civil infiltrés dans les gangs.
Mais alors, “que fait la police?”, si elle sait tant de choses. En fait, les policiers infiltrés ont été répérés depuis longtemps par les groupes d’Exarcheia (à lire dans To Vima). Et, pendant les émeutes, les arrestations semblent avoir pris un caractère de bastonnade. Dans Eleftherotypia, on dit que ces arrestations musclées sont le prix que paient les jeunes pour la mise en accusation des deux policiers d’Exarcheia. Des avocats s’émeuvent qu’elles aient lieu alors même que les policiers ne disposent d’aucune photo pour prouver les faits ou être sûrs d’arrêter les bonnes personnes.
Trop d’éléments dans la presse donnent à penser que la police grecque ne fonctionne pas comme elle le devrait. Pourquoi donc aucun démenti de l'institution ne vient-il contredire ces accusations?