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Du bonheur de circuler librement en Europe !

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Les ministres de l’intérieur des 15 ont mis au point le texte final de la directive relative au statut des ressortissants de pays tiers qui sont résidents de longue durée. Un petit pas vers un cadre commun en matière d’asile et d’immigration.

L'intégration à un niveau supranational des questions de politique intérieure n'existe nulle part ailleurs. Jamais un ensemble d'États n'a exprimé l'ambition, la volonté d'abandonner le contrôle de l'accès à son territoire et la législation sur les étrangers à une autorité supranationale.

La confiance ou le soupçon

La confiance est une vertu morale oubliée dans ce domaine où c'est en général le soupçon qui prévaut. La plupart des législations sur les étrangers sont construites autour du soupçon : soupçon d'abus de nos systèmes de protection sociale, soupçon d'abus de notre marché du travail, de nos écoles, de notre droit d'asile...de nos petites affaires. Lorsque les 15 négocient les textes d'asile et d'immigration au niveau communautaire, le soupçon ne porte pas uniquement sur les étrangers : les États se soupçonnent également entre eux. Ils se soupçonnent les uns les autres d’être trop tolérants par rapport aux étrangers et d’être une porte d’entrée des immigrants légaux comme illégaux en Europe. La fin des contrôles aux frontières intérieures nourrit foule de fantasmes sur les législations des autres États, perçues par certains comme trop laxistes, par d’autres trop restrictives.

Il y a un an le Conseil européen de Séville confiait à l'Union européenne le mandat d'approuver avant juin 2003 trois directives portant sur les normes relatives au statut de réfugié, les dispositions sur le regroupement familial et le statut des résidents de longue durée.

La bonne nouvelle est que les deux dernières - regroupement familial et résidents de longue durée - ont toutes deux fait l’objet d’un accord politique des Ministres de l’Intérieur des 15 sous présidence grecque (le premier texte en février et le second en juin). Elles devraient être adoptées dans leur version finale au cours des prochains mois, une fois les réserves parlementaires levées.

Des droits liés à la résidence plutôt qu'à la nationalité

La directive portant sur les résidents de longue durée est particulièrement intéressante. Elle a donné du fil à retordre aux délégués des quinze pays en charge de négocier le texte au Conseil. Le mécanisme de la directive tel que prévu par la Commission répond au souci de garantir aux ressortissants d'États tiers qui se trouvent légalement en Europe depuis 5 ans une liberté de circulation sur le territoire de l'UE, essentiellement à des fins d'emploi et de mobilité de la main d'œuvre. Pour les étrangers, cette « 16ème Nation » de l’Union, il n'existe pas à l'heure actuelle de liberté d'installation dans un pays autre que l'État Membre d'origine, celui dans lequel les résidents sont entrés et ont un statut légal. Jusqu'à présent, seule la libre circulation pour des séjours de moins de 3 mois était octroyée aux étrangers pas le biais notamment du système commun de visa. Désormais leur sera également octroyée la liberté de s'installer dans un autre État Membre sans passer par les procédures nationales de première entrée et d'y bénéficier de l'égalité de traitement, comme le font à l'heure actuelle 5,5 millions de citoyens européens qui résident dans un autre État Membre que celui dont ils ont la nationalité.

Un médecin marocain immigré en Belgique et ayant passé les équivalences nécessaires pour exercer dans ce pays pourra, au bout de 5 ans et s’il satisfait aux conditions prévues par la directive, obtenir le statut de résident de longue durée de l’Union et venir s’installer en France où ses diplômes seront reconnus et où il se verra accorder l’égalité de traitement par rapport aux ressortissants français et communautaires.

Est ainsi consacrée la reconnaissance mutuelle entre États Membres des capacités de chacun à accueillir et intégrer les étrangers résidant sur son territoire. C'est la reconnaissance par l'Union européenne des efforts consentis par ces étrangers légalement installés, reconnaissance du fait qu'ils aient grandi, étudié, travaillé, cotisé dans un pays européen. C'est aussi l'émergence de la citoyenneté-résidence par rapport à la citoyenneté-nationalité. C'est de leur « résidence » en Europe que les étrangers tireront leur droit à la libre circulation et non de leur nationalité d'un des pays européens. Mais la citoyenneté-résidence peut-elle s'apparenter à la citoyenneté-nationalité ?

Jusqu'où peut-on leur accorder des droits?

L'idée que finalement ces résidents légaux de longue durée se retrouvent à avoir les mêmes droits que les citoyens européens, droits acquis progressivement sur la base de l'égalité de traitement (droit à bénéficier dans un autre pays de la sécurité sociale, des bourses d'études, de la non-discrimination par rapport aux nationaux) a sérieusement préoccupé les États Membres, surtout l'Allemagne. « Le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des pays membres » disent les conclusions du Conseil Européen de Tampere qui a posé en 1999 les jalons d'une Union de liberté, de sécurité et de justice. « Rapproché » jusqu'où ? Les pays qui défendaient une égalité totale des droits, notamment la France et la Suède se sont retrouvés pendant deux ans en opposition systématique avec l’Allemagne et l’Autriche qui souhaitaient établir une hiérarchie entre les citoyens européens et les étrangers légaux. Le texte sur lequel les ministres se sont mis d’accord est donc le résultat d’un compromis qui situe ces résidents de longue durée à mi-chemin, au niveau des droits, entre les ressortissants de l'UE et les ressortissants de pays tiers qui ne sont pas résidents de longue durée (primo arrivants).

Ainsi sont prévues certaines limites et dérogations au principe de l’égalité de traitement afin de permettre aux États de garder un droit de regard sur l’accès à leur marché du travail et par conséquent également sur l'accès à leur territoire. Ces restrictions sont liées à l'impossibilité de quantifier ou de qualifier les conséquences de cette directive. Combien de bénéficiaires de ce statut de résident de longue durée vont utiliser leur droit à la mobilité ? De quelle nationalité seront ceux qui vont bouger? Dans quels secteurs d’activité vont-ils travailler ? Et vers quel pays vont-ils se diriger? Iront-ils au Nord, au Sud? A l'Est, à l'Ouest? Vers l'Allemagne? Vers l'Italie? Les pays qui doivent faire face aujourd'hui à une forte pression migratoire craignent qu'à celle-ci ne s'ajoutent les mouvements de ces ressortissants de longue durée.

Vers un cadre commun

Les deux directives ayant fait l’objet d’un accord, regroupement familial et résidents de longue durée, portent sur l’immigration légale. Bien qu’elles comportent de nombreuses dérogations au principe et ne soient pas dans leur version actuelle véritablement « révolutionnaires » (par rapport à ce qui existe déjà dans les États Membres en matière de droits reconnus aux étrangers), la portée de ces accords est considérable. Ils consacrent la reconnaissance de la compétence communautaire en matière de droit des étrangers. En ce qui concerne les textes sur l’asile et l’immigration, des normes «minimales » sont le prix à payer pour l’établissement d’un cadre commun qui évoluera et s’enrichira au fur et à mesure de l’intégration du droit des étrangers dans la législation communautaire. Cette intégration passera nécessairement par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE).

Ces avancées montrent néanmoins la détermination dont a fait preuve la présidence grecque, qui avait exprimé dans son programme sa volonté de mettre l’accent sur l’immigration légale. Après qu’un considérable travail d’expert a été réalisé sur le texte afin d'accommoder les différentes conceptions de l’immigration, notamment les conceptions divergentes de la France et de l’Allemagne, il fallait un certain courage politique, dont les ministres ont fait preuve, pour faire un pas - même petit- dans la direction de la reconnaissance aux étrangers de la liberté d’établissement sur le territoire de l’Union. Cet accord comprend une bonne dose de concessions mutuelles entre Etats. Concessions qui, dans ce domaine, méritent d’être considérées comme des preuves de confiance mutuelle>/I>, non négligeables sur des questions pour lesquelles l’affirmation de la souveraineté reste de mise.