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Droits de l’homme : le long chemin

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Default profile picture vanja guérin

La réforme du droit pénal constitue un véritable bon en avant pour les droits de l’homme en Turquie. Mais il y encore des progrès à faire pour que le changement pénètre les mentalités des plus conservateurs.

« Nous sommes la Turquie et nous sommes des Turcs. Nous prenons nos propres décisions, dans notre Parlement ». C’est par ces mots clairs que le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a réagi aux critiques de l’Union européenne, qui d’après lui, « n’a pas à interférer dans nos affaires intérieures - ni dans notre travail, ni dans le calendrier de notre parlement ». Les critiques en question avaient été prononcées par le Commissaire européen à l’élargissement, Günther Verheugen, qui a exprimé son inquiétude vis-à-vis du retard pris par la Turquie dans la mise en œuvre de la réforme de son code pénal.

Cette réforme très surveillée est l’une des conditions préalables au lancement de négociations en vue de l’adhésion de la Turquie dans l’UE. Or, peu avant le vote, l’ensemble du dossier avait été gelé, car le parti gouvernemental, l’AKP, ne pouvait pas se mettre d’accord sur les paragraphes controversés relatifs au divorce. L’aile conservatrice de l’AKP insistait sur le fait que le divorce devait être considéré comme un délit. Ce qui vient une fois de plus confirmer que le parti islamique et conservateur est opposé à la politique pro-européenne de son Premier ministre Erdogan. L’aile conservatrice perçoit cette sympathie pour Bruxelles comme une trahison de ses propres intérêts. D’un côté, elle souhaite entrer dans l’UE, mais, d’un autre, elle ne veut rien céder. La réaction pleine de dépit d’Erdogan semble donc s’adresser avant tout à la base conservatrice du parti. De même, le paragraphe sur le divorce doit être compris comme une concession à l’aile conservatrice, afin que cette dernière puisse aussi avoir des raisons de soutenir la réforme. Au final, la réforme est passée, mais sans les dispositions litigieuses sur la pénalisation de l’adultère.

La fin des crimes conjugaux

La pénalisation du divorce n’allait pas dans le sens du reste de la réforme. Ainsi, le fameux paragraphe qui a bien souvent permis de donner le feu vert à la censure de journalistes trop critiques est supprimé. Les sanctions pour torture ou usage abusif de la force envers des manifestants sont renforcées. Même les femmes profiteront de la réforme : le viol conjugal est désormais considéré comme relevant du droit pénal, les violeurs ne peuvent plus passer entre les mailles du filet en épousant leur victime et les crimes conjugaux commis envers les femmes sont jugés comme tout autre crime.

Mais ce n’est pas tout : Erdogan a également réussi à intégrer à la réforme la reconnaissance de la langue kurde, qui, pour la première fois, a le droit d’être diffusée sur les ondes (radio et télévision) ainsi que d’être enseignée. Cette avancée sonne le glas de la vision kémaliste de l’Etat, qui s’opposait à l’existence d’une identité kurde. Erdogan a par ailleurs réussi à limiter l’influence de l’armée. Pour la première fois, un civil, Yigit Alpogan, qui plus est ancien ambassadeur à Athènes et ami déclaré des Grecs, a été nommé Secrétaire général du Conseil de sécurité nationale, qui jusqu’alors pouvait être considéré comme une sorte de gouvernement militaire de l’ombre.

Les réformes entérinées l’année passées sont effectivement révolutionnaires et constituent un véritable bon en avant sur le chemin menant la Turquie à l’UE. Toutefois, Bruxelles a toujours de quoi rouspéter : d’ici à ce que militaires et policiers, juges et fonctionnaires du fin fond de l’Anatolie se départissent de certaines mauvaises habitudes, de nombreuses années peuvent encore s’écouler. Lors de la visite officielle de Günther Verheugen, le Commissaire en charge de l’élargissement, en Turquie, la Fondation turque pour les droits de l’homme a rappelé que la torture était encore monnaie courante dans les prisons.

Réseaux mafieux au Kurdistan

D’autres problèmes ne sont toujours pas réglés : des centaines de milliers de Kurdes chassés de leur terre ne peuvent pas rentrer chez eux, car des milices gouvernementales ont pris possession de leurs biens et n’ont pas l’intention de les rendre à leurs propriétaires. Des Kurdes font toujours l’objet de discrimination de la part de la police, car tout semble encore permis, des années après la guerre civile avec cette partie de la population. Dans le sud-est du pays, un réseau mafieux s’est développé avec la collaboration de la police, réseau dont les membres contrôlent les affaires légales comme illégales et qui n’hésite pas à imposer ses intérêts par la force.

Ainsi, les réformes sont loin d’être intégrées par tous les postes de polices et tous les tribunaux du pays. La vitesse à laquelle se fera la processus dépendra de la volonté du gouvernement d’Ankara de pousser à la mise en œuvre des réformes et au contrôle des processus en cours. Là encore, tout dépend de la sincérité avec laquelle le gouvernement soutient le « projet UE ».

La peur de l’assimilation

Visiblement, une partie des membres de l’AKP craint que l’adhésion à l’UE ne signifie un abandon des valeurs islamiques et de l’identité turque. Des craintes nourries par certaines discussions en Europe, selon lesquelles la Turquie doit s’adapter culturellement si elle souhaite adhérer. Or, la Turquie n’est pas disposée à négocier sur ce terrain. Mais les discussions devraient davantage porter sur l’économie, la démocratie et les droits de l’homme plutôt que sur les possibilités de rendre les Turcs plus européens. Car plus l’Europe insiste, plus le sentiment identitaire turc se renforcera.

Translated from Der lange Weg der Menschenrechte