Don Pasta : Confit de culture à l’italienne
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Daniele de Michele, alias Don Pasta est originaire du Salento, dans le sud de l’Italie et vit aujourd’hui à Toulouse, dans le sud de la France. Chef en cuisine et chef d’orchestre, il est à la fois DJ, gastronome, économiste, écologiste… Son métier : mixer les ingrédients, les musiques et les cultures d’un côté à l’autre des Alpes.
Midi passé, dans un auditorium un peu désert, Daniele di Michele alias Don Pasta attend à la terrasse d’un bar assez chic. Il est venu sans ses casseroles, mais discuter avec lui, c’est comme faire un bon repas. En antipasto, on évoque les spécialités franc-comtoises. L’idée d’une saucisse de Morteau à la cancoillotte attise la curiosité de ce « drogué au comté ». Suit le plat de résistance, haut en saveur : la vie et l’œuvre de cet Italien du Salento, amoureux de musique, de cuisine et de la France. Mais avant d’y arriver, on fond déjà devant le dessert, un véritable délice : Don Pasta parle français, avec un débit incroyablement rapide, un accent italien relativement marqué, piqueté d’intonations toulousaines…
Don Pasta, le Chef des mix et mélanges
Le personnage de Don Pasta est l’incarnation du mélange. Il est encore Daniele, quand il commence sa carrière en mixant de la musique en Italie, avant de partir pour trois ans à Paris fin 1990. Etudiant Erasmus le jour, DJ la nuit, de la Guinguette Pirate à la Favela Chic, c’est finalement au cœur de Montmartre qu’il découvre sa vocation : mélanger la musique, la cuisine et les cultures : « Je bossais dans un bar sénégalais, le Jungle Montmartre à Paris. C’est un endroit assez emblématique du métissage. Là bas, il y avait des Sénégalais, des gens d’un peu partout et c’était moi, un Italien, qui mixait du funk du reggae, de la soul !», dit-il, avant de raconter une anecdote qu’il a déjà du répéter des milliers de fois, sans pour autant tarir d’enthousiasme : « Un soir, il était deux heures du matin, la soirée se terminait et ceux qui restaient m’ont enfermé dans la cuisine. Ils m’ont demandé de cuisiner des pâtes pour toute l’équipe. Semaine après semaine, c’est devenu une habitude. C’est là qu’on m’a donné le surnom de Don Pasta, et je l’ai gardé ». C’est aussi là que germent les projets futurs. Food Sound System, In the Food for Love, Cook and Roll Circus : un livre, deux spectacles-performances, un composé de recettes de cuisine, d’histoires et de musique : « Dans le Salento, la tradition pour accueillir quelqu’un, c’est de lui donner à manger… Beaucoup à manger ! Tout se passe à travers et dans la cuisine, c’est une sorte de lieu de rencontre culturel. Et souvent quand on cuisine, que ce soit en France en Italie ou ailleurs, on écoute de la musique, certaines musiques peuvent même nous rappeler ce qu’on a mangé. C’est un peu tout ça que je voulais faire partager ».
Pâtes à la sauce multiraciale et antiraciste
Don Pasta est devenu à la fois maître queux et chef d’orchestre. Avec son équipe franco-italienne du Cook and Roll Circus, il a arpenté la Botte du Nord au Sud au printemps de cette année. Un show articulé autour de la préparation, sur scène, de ce qu’il sait faire de mieux : la Pasta. Au public, il fait partager son plat favori : les pâtes faites maison à la sauce « multiraciale et antiraciste »: « C’est une sauce avec plein d’épices, ce qui ne se fait pas beaucoup en Italie, à part en Sicile, détaille Don Pasta. C’est justement cela que je trouve intéressant, parce que l’usage des épices est le fruit des influences arabes qui sont peu à peu devenues partie du patrimoine culturel et gastronomique de l’île ». Profondément inspiré par la cuisine italienne, Don Pasta n’en considère pas moins que le mode de conservation des traditions réside dans les mélanges : « C’est l’origine de toute tradition gastronomique, un plat est toujours fruit d’une dynamique, c’est ce que je défends en faisant des polpette [ndlr : boulettes de viande] épicées ».
Grandes causes et dolce farniente
Don Pasta est aussi un ardent défenseur du suivi de la production pour aboutir aux bons ingrédients : « L’origine des produits est essentielle, s’emballe-t-il. Par exemple, j’explique sur scène que la sauce tomate doit se faire en août. Respecter les saisons, c’est la base de toute bonne cuisine ». Il s’inquiète de l’introduction des OGM, dénonce les contraintes qui conditionnent les filières agricoles et font fi de l’écologie : « C’est le début d’une catastrophe culturelle, et c’est pourquoi je fais aussi un travail de sensibilisation sur la qualité des produits ». L’autre catastrophe culturelle selon lui, c’est celle que traverse l’ Italie: « Mon parcours est l’exemple d’une crédibilité acquise en France à partir d’une intuition qui n’est pas du tout française ». Il raconte comment ses projets ont immédiatement trouvé écho et appui auprès de la région Midi Pyrénées et de la ville de Toulouse, tandis qu’en Italie persistent « de très mauvaises habitudes d’absence de transparence dans la sélection des projets. Une des raisons qui font que le pays se trouve dans un état assez tragique ».
Mais même s’il a désormais posé ses valises en France, l’âme de Don Pasta est toujours en Italie. La tournée du Cook and Roll Circus terminée, il continue d’animer des évènements dans les squats de Rome où il fait monter des producteurs sur scène pour défendre l’agriculture italienne, son terroir et son patrimoine culturel et gastronomique. Mais aussi pour cultiver ce petit supplément d’âme des Italiens qui plaît tant aux Français dit-il, ce « dolce farniente », dont la recette secrète à base d'« otium » (ndlr : loisir en latin) est soigneusement conservée depuis des siècles de l’autre coté des Alpes.
Photos: ©Luca Innocenzi/Flickr