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« Dogs » ou la faiblesse du cinéma roumain

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Culture

Vainqueur du prix FIPRESCI au dernier Festival de Cannes, le film Dogs - le premier du réalisateur roumain Bogdan Mirică  - a été présenté au dernier Festival du Film de Turin. Une adaptation malheureusement bien maladroite qui reflète bien les erreurs du cinéma de l'est européen.

L’un des plus grands défis auxquels doivent faire face les réalisateurs Balkans depuis la chute du communisme, en particuliers en Bulgarie et en Roumanie, c'est le financement. Voilà pourquoi les génériques d’ouverture sont généralement envahis de nombreux crédits, d’institutions gouvernementales et non-gouvernementales, d’associations et même d’entreprises qui n’ont aucun lien avec l’industrie cinématographique et n’ont apporté aucune contribution créative à la production du film. Ainsi, les auteurs autoproclamés devenus scénaristes ou réalisateurs, tout comme leurs idées et leurs émotions, deviennent incontrôlables. Au lieu de créer une histoire cohérente, ils finissent par aboutir à des incohérences scénaristiques qui altèrent le développement des personnages.

Tel est le cas de Dogs (« Câini » en roumain), le premier long-métrage du réalisateur Bogdan Mirică. Quatre années de travail ont été nécessaires à l’élaboration du scénario, parsemé de nombreuses ébauches et de scènes coupées au montage. Pour être honnête, les intentions de Mirică n’incluaient aucune intrigue ou narration. Il s’agissait davantage de transmettre des émotions et des sentiments qui, comme il a admis lors de deux interviews, demeurent généralement « confus et obscurs ».  

Dogs évoque l’histoire de Roman, éducateur urbain fraîchement débarqué dans un village près de Tulcea, à la frontière romano-ukrainienne. Héritier d’immenses hectares de terres ainsi que d’une maison en piteux état appartenant à son grand-père, il découvrira que celui-ci était le « parrain » local, plus connu sous le nom de « Oncle Alecu ». Déterminé à vendre la propriété, il fait venir son ami Sebi (Emilian Oprea) afin de s’assurer que tout est en règle. Les choses deviennent funestes lorsque Sebi est porté disparu et que le nouveau propriétaire terrien est incité à retourner à sa confortable vie urbaine, laissant les avocats gérer la vente à sa place, ou à tout abandonner.

Un « avant-goût » du film à venir nous est offert dès la longue et pénible scène d’ouverture (qui nous rappelle étrangement que les scènes auraient été mieux filmées ailleurs). Les événements-clés, qui ont systématiquement lieu hors-champ, ne peuvent que nous décevoir tout le long du film. Là, réside la principale erreur du long-métrage : les longues conversations des protagonistes et antagonistes transgressent à maintes reprises la sacro-sainte règle du « montrer plutôt que raconter ». Il traite également de l’éternelle malédiction de la culture cinématographique balkanique : de longues, très longues prises de vue, un angle unique et des plans fixes interminables, durant lesquels rien ne se passe pendant dix minutes (sauf une fois, ce qui était censé passer pour de l’humour noir). Un ancien flic, proche de la retraite en raison d’un cancer des poumons, et un berger allemand répondant au nom de Police, sont également à l’origine de blagues ratées ou bien trop lourdes (« Ici la Police  - le gars, pas le chien »).

Le cinéma de l'est : trop long, trop forcé

Fort heureusement, Vlad Ivanov (dont le public se souviendra sûrement pour sa participation à 4 Mois, 3 Semaines et 2 Jours) est plutôt amusant dans le rôle de Samir, lieutenant d’Oncle Alecu et meneur autoproclamé des truands du coin. Il est ainsi à l’origine des meilleures et pires répliques du film : « J’ai peur de Dieu… mais Dieu a peur de moi, lui aussi ». Des réparties qui frôlent parfois le commentaire social : « On se bat un peu, on tue un peu… On s’ennuie quand on n’est pas très éduqué », rétorque Roman.

L’intrigue demeure toutefois enveloppée d’un mystère superflu. Parfois de façon dérisoire : ce que les gangsters de pacotille trafiquent, et sous quelle forme, ainsi que les autres affaires mafieuses dans lesquelles ils sont impliqués. D’autres énigmes sont plus fondamentales, comme l’origine du désaccord entre Roman et sa compagne Ilinca (interprétée par Raluca Produ, injustement peu mise en valeur), qui vient lui rendre visite au plus mauvais moment. 

Un plan, en particulier, ne peut faire oublier le piètre montage de l’œuvre. Le réalisateur débutant a visiblement loupé le cours où l'on enseigne l’importance d’établir des plans. La première fois que nous voyons l’intégralité de la maison héritée par Roman, c’est par la lunette-arrière d’un SUV en mouvement lors de la fin du troisième acte,. Autrement dit, lorsque notre protagoniste décide d’abandonner sa petite-amie au cours d’une scène absurde et ahurissante qui ne sert que le sombre dénouement du film. Les quelques travellings (mouvement de caméra, ndlr), qui n’évoquent que vaguement la tension qui règne dans le film, sont écrasés lors de plans encore plus statiques. 

Le film mixe des caractéristiques typiques de la sensibilité est-européenne avec un dialogue forcé, et des éléments maladroitement empruntés à David Lynch (comme Blue Velvet) et aux frères Coen. De fait, Dogs a été loué et vendu comme un No Country For Old Men roumain. Pour un film qui a nécessité quatre ans d’écriture, et dont l’intrigue – ou le manque d’intrigue –  a vraisemblablement été inspirée par les souvenirs d’enfance du réalisateur, cela ressemble étrangement à une copie sans grande originalité. Sans le poids, l’étude des personnages ou la profondeur philosophique de ses lointains ancêtres.

Bande-annonce de Dogs. 

Story by

Nikolai Yotov

Born in the family of a documentary film director. Traveler, photographer, journalist, communication specialist. Doesn't like where the world is going, and, in return, the world doesn't seem to like him very much, either.

Translated from Bogdan Mirică's “Dogs” leaves overly familiar bite marks