Dis-moi quelle ville tu veux…
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emilie rofas…et je te dirai pour qui tu votes. A la veille des élections municipales espagnoles, il convient de ne pas oublier que, dans les grandes villes, vote et projet urbain sont intimement liés.
Un des grands problèmes que rencontre aujourd’hui la politique est la personnalisation des campagnes électorales. Dans le cas précis des municipales, ce phénomène est encore plus manifeste, à cause de la proximité : tout paraît se concentrer autour d’une personne, le candidat, quelqu’un de plus ou moins proche des électeurs ou que ceux-ci considèrent être plus ou moins compétent. Mais cette candidature est en réalité un projet urbain. La question que doit se poser l’électeur n’est donc pas « Est-ce que ce type-là me plaît ? » mais plutôt « Quelle est la ville que je veux ? » et « Veut-il la même ville que moi ? ».
Regarder du côté de l’Europe
Chaque ville est différente, mais aujourd’hui, d’Oslo à Malaga, les moyennes et grandes villes d’Europe ont en commun une série de problèmes, auxquels elles répondent par des politiques conservatrices ou innovatrices, globales ou particulières…Il serait faux de dire qu’en Europe les alternatives les plus innovantes proviennent toujours de la gauche, mais il est bon de faire remarquer que la droite espagnole a particulièrement tendance à se reposer sur la spéculation immobilière comme unique forme de planification urbaine, à se concentrer sur de grands projets spectaculaires, envisagés dans le centre-ville, à laisser les quartiers périphériques se débrouiller seuls, et en général, à développer un projet urbain oscillant entre le péniblement folklorique, le conservatisme obstiné et un libéralisme plutôt brutal. De ce point de vue, il ne serait pas malvenu de jeter un coup d’œil à ce qui se fait en Europe dans le domaine de l’urbanisme afin de comprendre qu’il existe d’autres façons de faire, aussi incroyable que cela puisse parfois paraître. Quels sont ces problèmes communs aux villes européennes et quelles solutions essaient-elles d’y trouver ?
« C’est moi qui me gare là ! »
Tout d’abord, il y a bien évidemment le problème de la voiture. A partir des années cinquante, l’expansion des villes s’organisa avec la voiture comme vecteur principal. On construisit tous types d’autoroutes urbaines et de boulevards périphériques, les places se virent envahies par les automobiles et on fit en sorte que tout le monde eût le droit de se garer où il voulait. Cette option apparaît de plus en plus obsolète. D’une part, le trafic urbain est aujourd’hui tellement saturé qu’utiliser les transports publics, quand ils fonctionnent bien, n’est plus la marque des pauvres, mais celle d’habitants malins. D’autre part, les mentalités aussi évoluent, depuis le commerçant jusqu’au citadin qui circule à pied ; aujourd’hui, créer des zones piétonnières ou des zones à circulation restreinte est une pratique normale, considérée comme nécessaire.
De ce point de vue, il est difficile de croire que dans une ville de la taille de Madrid, avec son magnifique système de transports publics, on n’ait pas fait plus. Et le fait est que beaucoup de gens à Madrid semblent n’avoir foi qu’en un projet urbain qui permette à chacun de garer sa voiture où bon lui semble, comme si réduire le trafic constituait une atteinte à la liberté du citadin.
La restriction du trafic est étroitement liée au développement d’espaces de rencontre et d’interaction publics, depuis la place jusqu’au parc ou encore la rue commerçante. De nombreuses municipalités exploitent ces possibilités, mais elles se limitent généralement au centre-ville, mettant ainsi en valeur le patrimoine de la ville, un choix qui présente deux avantages : cela attire les touristes et permet la mise en scène de monuments ou de zones symboles de l’identité locale et favorisant un certain sentiment d’appartenance à un espace commun. Mais l’on oublie trop souvent qu’une des fonctions de l’espace public urbain est d’encourager la cohésion sociale, l’interaction entre les groupes sociaux, la réduction des barrières entre quartiers, classes ou ethnies. Pour toutes ces raisons, il est important d’établir des espaces publics attrayants dans les périphéries également : places piétonnes, grands parcs urbains… A ce niveau, Barcelone est un exemple mondialement connu, simplement parce qu’on y développa dans les années quatre-vingts un projet urbain différent, progressiste et social, et qu’il put être mené à bien à travers les législatures successives.
Nécessité d’une demande sociale
Cependant, il est impossible aujourd’hui de reproduire le climat social et urbain que connut l’Espagne au début des années quatre-vingts, cette euphorie démocratique populaire. A présent, il existe plutôt un phénomène d’autosatisfaction de nouveau riche, qui s’ajoute au curieux conservatisme urbain espagnol, lequel découle d’un orgueil mal interprété. On remarque l’absence, en Espagne, de certains phénomènes qui ont été en Europe de véritables moteurs d’évolution ; la gentrification, c’est-à-dire l’invasion, par de jeunes bourgeois, des quartiers populaires délabrés des anciens centres, a créé une forte demande de changements et un mouvement spontané qui a généré de lui-même une transformation urbaine non planifiée, comme cela a été le cas à Chueca [quartier madrilène équivalent au Marais parisien].
Ceci a manqué en Espagne car la crise du logement n’est pas résolue et les jeunes espagnols ne jouissent pas de l’autonomie nécessaire à l’établissement d’une demande urbaine, en termes d’aménagement de l’espace. Dès que se produira ce type d’évolutions sociales, ce pays pourra se considérer « européen », du point de vue urbain, et pourra établir une demande politique locale représentée par des majorités nouvelles, exigeantes et véritablement progressistes.
Au-delà de ces aspects, d’autres domaines de la planification urbaine ne sont pas à négliger, et dans beaucoup d’entre eux, l’Espagne connaît un certain retard. Par exemple, l’établissement de structures de gouvernement à l’échelle métropolitaine, qui proposerait des solutions globales et cohérentes, quelque chose qui fait cruellement défaut dans la région métropolitaine de Barcelone ou sur la Costa del Sol. Ou bien une politique volontaire dans le domaine des transports publics, par le biais d’une extension vers la périphérie ou de la création d’un réseau de métro, ou plus récemment, de la promotion de l’autobus grâce aux voies de bus ou du retour au modèle du tram ; celui-ci, bien plus que les autres moyens, a l’avantage de stimuler l’établissement d’une nouvelle planification urbaine et une nouvelle façon de vivre la ville, une option qu’aucune grande ville d’Espagne n’a choisie et qu’un maire de droite est en train d’appliquer avec succès à Burdeos, ainsi qu’un maire de gauche à Paris…
Et le fait est que chaque ville n’est que le résultat de ce que ses citoyens méritent. Avec un esprit de type « pas touche à ma féria », aucune ville ne peut changer pour un modèle plus hospitalier, un contexte plus accueillant et plus favorable à divers types d’interactions, aussi bien sociales qu’économiques. Pour y arriver, la condition sine qua non serait qu’existe une volonté d’évolution, que se crée un mouvement social local capable de proposer des alternatives crédibles et de se faire entendre au moment des élections par l’intermédiaire des associations de quartiers, de mouvements urbains, artistiques, sociaux, professionnels ou médiatiques ; qu’il utilise un outil aussi puissant qu’Internet et qu’il se réunisse physiquement afin de discuter ou de protester. Et c’est ici qu’entre en jeu la capacité des partis progressistes à suivre ces évolutions, à comprendre quels sont les lignes directrices et les projets concrets qui peuvent constituer un nouveau modèle urbain et le représenter… par le biais d’un candidat, évidemment. Quelqu’un de sympathique, si possible.
Translated from Dime qué ciudad quieres…