Dis moi où tu vis, je te dirai pour qui tu votes
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Près d’un million de Français de l’étranger sont inscrits sur les listes électorales. De quoi attiser les convoitises des candidats en campagne.
«A tous les expatriés qui sont malheureux de la situation de la France et de leur départ, je veux dire : 'revenez' ! ». L'injonction est signée Nicolas Sarkozy, le candidat UMP, lors de sa visite éclair dans la capitale britannique en janvier dernier. Devant une salle comble, Sarkozy n’a pas hésité à lancer ‘son’ appel de Londres, remixé version 2007.
L’ancien ministre de l’Intérieur français n’est pourtant pas le seul des candidats à l'Elysée à courtiser ceux de ses compatriotes qui, pour des raisons professionnelles, fiscales ou personnelles, ont choisi de s’exiler de l’Hexagone. Les 2,2 millions de Français établis à l’étranger représentent un vivier inépuisable de voix potentielles, le 8ème département hexagonal en terme d’importance électorale.
Cette année, quasiment un expat sur deux est inscrit sur les listes électorales. Le chiffre a quasiment triplé depuis la dernière échéance présidentielle : de 380 000 inscrits en 2002, ils sont désormais 821 600.
A cet égard, les opérations-séduction des prétendants à l’Elysée ont été variées et fréquemment virtuelle : utilisation des listings des consulats, mailings intensifs et déplacements soigneusement choisis. « 45% des Français expatriés sont concentrés sur le territoire européen, » rappelle Hélène Charveriat, déléguée générale de l’Union des Français de l’étranger (UFE). « Les communautés suisse, belge puis anglaise sont les plus importantes».
La chef de file socialiste Ségolène Royal s’est ainsi offert une petite escapade à Berlin, juste avant les célébrations du cinquantenaire du Traité de Rome, tandis que l’outsider centriste François Bayrou, a privilégié le mail informel à ses ‘chers compatriotes de l’étranger.’ Leurs efforts vont-ils convaincre un électorat traditionellement considéré de droite ? En novembre 2006, Valérie Pécresse la porte-parole UMP déclarait encore dans le quotidien suisse ‘Le Matin’ : « les deux tiers votent UMP ».
Bouleverser la donne
« S’il est vrai que l’on constate une implication accrue des Français de l’étranger dans cette campagne 2007, il faut relativiser, » pointe Claudine Schmidt, présidente de l’Assemblée des Français de l'étranger (AFE) de Suisse. « Seules 150 000 personnes se sont inscrites de manière volontaire. »
Les autres ont bénéficié du zèle du ministère des Affaires étrangères, conscient du poids de la communauté des expats sur l’issue du scrutin présidentiel. Lors des élections italiennes d’avril 2006, les 228 000 voix des Italiens de l’étranger avaient ainsi fait basculer le vote en faveur du socialiste Romano Prodi.
Le 1er janvier 2006, l’administration française s’est donc empressée de fusionner les deux listes électorales jusqu’alors en vigueur dans les consulats -l’une concernant le vote des représentants de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et l’autre pour les élections présidentielles-. « Cela a simplifié la procédure, » reconnaît Schmidt. «Une fois enregistrés au consulat, certains expats se sont retrouvés inscrits automatiquement pour les présidentielles. »
Autre mesure prise, la décentralisation des bureaux de vote dont le nombre est passé de 246 à 546 dans le monde entier. Sans compter la multiplication des urnes volantes ou des tournées pour recueillir les procurations.« Nous avons mené de nombreuses campagnes de sensibilisation en coopération avec le ministère, » se réjouit Hélène Charveriat. « Il est toutefois indéniable que les expats s’intéressent plus à cette présidentielles qu'en 2002 : attrait de la nouveauté et prétendants plus jeunes, voire qui n'appartiennent pas au sérail y contribuent largement. »
Ce que les expats en disent vraiment...
«Je suis content de ne pas habiter en France pour ne pas à avoir à subir la campagne : les enjeux ne manquent pas mais le choix de candidats proposés n’offre pas de solution aux problèmes de la France. Je trouve que les étrangers que je fréquente se passionnent plus que moi pour la campagne : tout le monde a un avis et demande pour qui je vais voter ou ce que je pense de tel ou tel candidat, ils en savent plus que moi. » Marc, 27 ans, politologue, Bruxelles, Belgique
«Vu d’outre-Rhin, la campagne française perd de son théâtralisme : la presse allemande se fait l’écho fidèle mais tamisé des coups et contre-coups de la campagne. La candidate féminine Royal est largement disséquée -aura t-elle le même destin que Merkel, va t-on vers une ère de la femme politique...- et les courants d’opinion sont fidèlement repris mais avec une concision et un pragmatisme qui élaguent les gesticulations des protagonistes. Ils ont un oeil plutôt ironique. Pour les expats, l’outil internet est aussi indispensable avec JT2Zero, youtube, les websites des candidats et la presse française en ligne. » Caroline, 21 ans, étudiante à Münster, Allemagne
«Je vois les élections à travers le prisme politique local. Une chose me frappe depuis l’Angleterre : les candidats français ont adopté la manière très personnalisée de faire de la politique de Tony Blair. Les partis politiques s’effacent avec une mise en valeur des candidats en tant qu’individus. Blair peut bien quitter le pouvoir cet été, sa manière de gouverner sera reproduite de l’autre côté de la Manche. » Christophe Bickerton, 27 ans, doctorant à Oxford, Angleterre
«Il y a en Norvège une fascination des médias pour Ségo qui incarne le fantasme parfait de la femme française. » Jean-Noël Lundh, 29 ans, ingénieur, Oslo, Norvège
«En Hongrie, la campagne actuelle intéresse beaucoup les natifs : probablement en raison des origines hongroises de Sarkozy.» Cécile Ranise, 27 ans, chargée de mission culturelle, Budapest, Hongrie
«Les expats français qui bossent dans la finance à Londres sont presque tous derrière Sarkozy : s’il plait autant, c’est parce qu’il a promis de rendre la France plus attrayante et flexible, permettant à ceux qui sont partis parce que la France ne leur donnait aucune chance, de revenir. Je n’ai pas vu une seule personne ici qui ne s’intéressait pas aux élections. » Agnès Baritou, 24 ans, journaliste free lance, Londres, Grande-Bretagne
«Il n’y a pas que des Johnny Halliday [partis pour échapper à l'impôt sur la fortune] ici à Bruxelles. Parmi le personnel des institutions européennes, le vote Bayrou n’est plus tabou. » Lorenzo Morselli, 28 ans, assistant parlementaire, Bruxelles, Belgique