Dieu, le citoyen, le journaliste, et le président
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Si les électeurs choisissent leur président, le poids des médias ou des lobbys n’est pas négligeable. Et en dernier recours, Dieu protège l’Amérique et fait élire ses candidats. Dernier volet des précieux éclaircissements de Dominique Turpin, professeur de droit à l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand) sur les élections présidentielles américaines.
Puy de Babel : Les premiers à choisir sont les électeurs. Est-ce qu’il y a une géographie électorale qui se dessine sur le continent ? D.T. : Oui, il y a surtout certains états ou ça va se jouer à très peu. C’est là justement ou les candidats font porter leurs efforts en s’y rendant, mais tous les états du centre (Middle West nord et sud), états ruraux et blancs, sont des états républicains. Les états de la côte est, très washingtoniens, très snobs, sont démocrates. L’américain moyen, le blanc de base, vote plutôt républicain. Le Noir, l’Espagnol , la minorité, l’intellectuel, l’université votent démocrate, de même que les beautiful people (Hollywood) Obama surtout a un formidable carnet d’adresse de beautiful people, mais ca pourrait être plus agaçant que bénéfique : Dans un clip, Madonna a associé Mc Cain à Hitler, ce qui était très excessif et Obama fut obligé de dire qu’il n’était pour rien là dedans.
PDB : Quel est le rôle des médias aux Etats-Unis ? Ne sont-ils pas plus engagés qu’en Europe ? D.T. : Ils jouent un rôle, c’est évident, plus qu’en France, ce n’est pas sûr. Ceux qui ne s’engagent pas trop en France, en tous cas pas officiellement, ce sont les médias audiovisuels. Mais La presse écrite s’engage, le journal Le Monde s’engage. Chacun sait qu’en France, TF1 roule pour Sarkozy, France 2, c’est moins net pour Ségolène Royal. Peut être qu’aux Etats-Unis on a moins de rigueur et de crainte à dire combien on gagne, pour qui on est… L’américain n’est pas choqué que telle station s’engage pour tel ou tel. Alors qu’en France, c’est la laïcité, c’est la neutralité, c’est l’impartialité, on attend davantage de neutralité de nos médias.
PDB : On stigmatise beaucoup de lobbying américain. Jusqu’à quel point joue-t-il un rôle ? D.T. : La différence aux Etats-Unis, c’est que le lobbying est organisé et reconnu. Mais si en France on n’a pas de lobby des armes à feux, on a les lobbys des viticulteurs, des agriculteurs. Aux Etats-Unis, ils sont à l’intérieur du congrès mais chez nous, ils sont faits pour rester en dehors.
PDB : On connaît le poids de la religion, outre atlantique. Est-ce que Dieu a son mot a dire dans la campagne américaine ? D.T. : Déjà le président américain prête serment sur la Bible. On a une religiosité plus importante qu’en France. Le rôle des évangélistes et télévangélistes, chrétiens très conservateurs, n’est plus à faire, notamment du côté républicain. En France, on a ce côté ‘Etat laïc’ qui fait que la religion regarde chacun mais ne pénètre pas dans la sphère publique. On a vu par exemple François Bayrou se choquer que le Président de la République, quand il rentrait dans une église, faisait le signe de croix. Mais s’il le fait à titre privé, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas le faire comme président. Nicolas Sarkozy dont les penchants américains ne sont plus à démontrer a essayé, et ça lui a valu des volées de bois vert, de faire évoluer cette laïcité vers une laïcité plus favorable aux religions, à travers même certains propos un peu étranges tenus à Benoit XVI au Vatican. Mais la République Française reste une République laïque, ce qui n’est pas nécessairement le cas aux Etats-Unis.
PDB : Quelle Amérique va laisser Bush Junior en partant ? D.T. : A force d’être Junior, il commence à être un peu vieux. Il va laisser une Amérique repliée sur elle-même, frileuse, une Amérique peureuse, en crise, pas aimée voire parfois haïe du reste du monde et pas seulement du Tiers-Monde et des musulmans. Cela dit, tout n’est pas de sa faute, et tout n’est pas irréversible. Quand on voit le succès de Barack Obama en Allemagne, et l’espoir qu’il suscite, qui est très fort et risque d’être déçu ici ou là dans le Tiers Monde, on voit que les EU pourraient retrouver un rôle à la hauteur de leur puissance, et quelque puissant que l’on soit, si on ne se fait pas aimer et comprendre, on a du mal a imposer ses vues et c’est ce dont il faudra que Barack Obama, s’il est élu, se persuade.
Propos recueillis par C.D.S.