Diego Cañamero: « Défendons notre souveraineté alimentaire ! »
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sébastien fournierDiego Cañamero, 51 ans, est le porte parole d'un syndicat d’un nouveau genre : sa base rurale entend représenter les travailleurs du milieu urbain.
Nous sommes à Séville, au huitième étage d'un immeuble sinistre. Au bout d'interminables couloirs inondés par la lumière du soleil, se trouve le siège du Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT). Le SAT est né le 23 septembre 2007 de l'union de plusieurs petits syndicats ruraux reliés au Syndicat des ouvriers de la campagne (SOC). Son modèle est unique en Europe.
Emmanuelle Palliot nous reçoit. Cette jeune française s’est lancée dans une étude sur les travailleurs de l'Est qui viennent travailler en Andalousie pendant la saison des fraises. « Des dizaines de milliers de saisonniers de l'Est viennent travailler dans les champs andalous,» nous explique la jeune femme, «mais peu d'entre eux se présentent au syndicat car la majorité viennent en Espagne sans permis de séjour et ne veulent pas avoir de complications : ils gagnent trois fois plus d'argent que dans leur pays d'origine et n'ont pas l'impression de devoir exiger quoi que ce soit! ».
Diego Cañamero, également fondateur du SOC est aujourd'hui le porte-parole du SAT. Il a débuté dans le syndicalisme à 16 ans, en 1974. A cette époque, la pauvreté était très répandue dans les campagnes. Rares étaient les assemblées de saisonniers qui ne finissaient pas en affrontements avec la police. Les travailleurs pouvaient même être emprisonnés.
Le syndicalisme a-t-il permis des évolutions positives dans les campagnes?
Oui, surtout après nos premières occupations de terres publiques et privées. En 1978, nous avons obtenu que 20 000 hectares de terres soient redistribués aux paysans. Plus tard, dans les années 90, je suis devenu maire de mon village en m'appuyant sur le syndicat.
Ne croyez-vous pas que le syndicalisme soit en perte de vitesse en Europe?
En effet. Les syndicats et les partis politiques se sont mis dans le moule du système capitaliste. Leurs idées nobles se sont perverties. Certains syndicats sont devenus de véritable mafia, d'autres dépendent trop de l'argent de l'Etat et ne peuvent pas défendre leurs travailleurs jusqu'au bout. On trouve aussi dans les partis politiques trop d'entrepreneurs soucieux de leurs intérêts personnels. C'est ainsi que les travailleurs perdent toutes leurs illusions.
Pourquoi avez-vous créé le SAT alors que le SOC existait déjà?
Parce que les gens de la campagne ne travaillent plus seulement dans le domaine agricole et l'image du SOC dépendait trop de la figure du saisonnier. Beaucoup sont partis dans le secteur du bâtiment, des énergies renouvelables ou du tourisme rural. Alors que ces nouveaux secteurs se sont développés, les accidents du travail ont atteint le nombre de 90 000 en Andalousie seulement. Le taux de chômage est de 12% contre 8% pour l'ensemble de l'Europe. Les salaires et les pensions sont 10% inférieures à la moyenne espagnole. 44% des terres sont toujours entre les mains de 4% de la population. En plus, la hausse du prix du biodiesel pourrait engendrer une spéculation financière. Les plus puissants pourraient y voir l’opportunité d’y faire de l’argent.
Pour lutter contre cela, nous avons créé un syndicat basé sur les contributions des travailleurs seulement. Nous sommes donc indépendants de l’Etat. Pour nous, un syndicat ne doit pas être bureaucratique. Nous parions sur l'action directe. (Le SPA se présente sur les lieux de travail et s’engage à défendre les travailleurs sans avoir de représentants dans les comités d'entreprises, ndlr).
Croyez-vous que la Politique agricole commune (PAC) aide les agriculteurs espagnols?
Vus le prix à la vente de ce qui est récolté dans les champs, s'il n'y avait pas de subventions, cela ne vaudrait même pas la peine de semer quoi que ce soit. Mais, ce qui devait au départ aider à reconstruire le monde agricole et rural après la deuxième guerre mondiale s'est transformé en protectionnisme. Les prix de certains produits importés dans l’Union sont cassés. Aujourd’hui, l'argent de tous les citoyens européens est utilisée pour enrichir quelques familles nobles comme les Ducs d'Albe, les Mora Figueroa, ou des gens comme l'ex-banquier et repris de justice Mario Conde [condamné pour abus de biens sociaux, ndlr]. Ils vivent tous à Madrid, comme des pachas, à 500km de leurs terres subventionnées.
Voilà pourquoi, on ne peut pas continuer à verser des aides en fonction des surfaces des terres cultivés. Il faut essayer de combiner plusieurs facteurs: la superficie bien sûr, mais en donnant moins au plus grandes exploitations, le nombre d'employés, le respect de l'environnement, l'entretien du milieu rural et des chemins, la construction d'industries de transformations sur place…
Etes-vous partisan de la préférence communautaire souhaitée par Nicolas Sarkozy, le président français, plutôt conservateur?
Nous défendons la souveraineté alimentaire. Nous ne pouvons pas vendre du blé et de la viande aux Argentins parce qu'ils en ont déjà trop. A l’inverse, pourquoi nous vendraient-ils les denrées que nous produisons chez nous ?
Quelle est la position du SAT sur la production et la commercialisation des produits transgéniques?
Nous sommes contre. Les semences représentent tout un héritage génétique conservé pendant des siècles, de père en fils. Elles ne peuvent pas être modifiées et brevetées par une multinationale privée. L'alimentation humaine ne doit pas être entre les mains d'un petit nombre. Les graines sont comme l'air ou l'eau. Elles sont des dons de la nature au service de l'être humain.
Quelles mesures concrètes attendez-vous de la part de l'Union européenne pour le développement du monde rural ?
Il nous faut, en priorité, de meilleurs infrastructures : des chemins ruraux rénovés, un plan de reforestation pour lutter contre l'érosion des sols, la modernisation des réseaux d'irrigation afin d’économiser l'eau, l'électrification des campagnes...
Foto Diego Cañamero durante una manifestación en Sevilla en favor de la vivienda digna (pedrobea/Flickr)
Translated from Diego Cañamero: defendemos la soberanía alimentaria