Dialogue-citoyen avec Juncker : et maintenant, quel avenir pour l’Europe ?
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Hier, 18 novembre 2015, avait lieu un « Dialogue-citoyen » avec Jean-Claude Juncker au BOZAR de Bruxelles dans le cadre des « Journées de Bruxelles », organisées par L’Obs, Le Soir et De Standaart. Petit aperçu de cette rencontre citoyenne.
On nous avait prévenus par email, la veille : suite aux attentats de Paris, l’événement serait maintenu mais les mesures de sécurité renforcées. L'ambiance est étrange au BOZAR : les sacs sont fouillés, les identités consciencieusement vérifiées, et même les fermetures éclaires de mon manteau font l’objet de suspicion de la part de l’agent de sécurité. J’entends derrière moi un « mais c’est pire que pour entrer dans la Commission, ici ! », lancé un peu nerveusement.
Une fois les contrôles de sécurité passés, cependant, la tension se dissipe très rapidement et l’ambiance se fait conviviale. Confortablement installée dans les fauteuils de la salle Agora du BOZAR, j’observe le public : beaucoup de cheveux argentés, mais une large partie du public se compose de jeunes gens. Attendez… Il y aurait donc encore des jeunes qui s’intéressent à l’Europe ?
Même si ce n’était pas initialement prévu, on s’en doute, le dialogue s’est beaucoup concentré sur la question de la lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne. On entre directement dans le vif du sujet avec la première question, celle de Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef chez Le Soir : « Monsieur Juncker, l’Europe est-elle entrée en guerre ? ». Juncker se rebiffe, désapprouve, il se refuse absolument à parler de « guerre ». Il concèdera tout de même que « des actes de guerre » ont été commis à Paris. Il réaffirme, par contre, la solidarité entre les peuples européens et soutient les moyens supplémentaires déployés par la France : à situation extraordinaire, moyens extraordinaires.
La parole est ensuite donnée à la salle. C’est, après tout, le but d’un « dialogue citoyen ». Sur ce point, je dois dire que les questions posées par la salle étaient d’une acuité remarquable : intelligentes, concernées, pertinentes. Tout (ou presque) y passe : la possibilité d’une police européenne pour mieux lutter contre le terrorisme, la crise des réfugiés et l’impact des attaques de Paris sur celle-ci, le meilleur moyen de lutter contre Daech, le commerce du pétrole de Daech et la position de l’UE sur le sujet, la Syrie, la Turquie et Erdogan, la croissance et l’emploi, l’Europe fédérale, Merkel, l’Europe sociale, la culture et l’éducation, l’utopie européenne, le TTIP, le Brexit, la citoyenneté européenne…
C’est dans ces moments-là qu’on se dit qu’il faudrait donner plus souvent la parole aux citoyens européens. Oui, ils ont des idées, et non, ils ne sont pas totalement résignés ou rebutés par l’idée européenne.
Juncker, lui, paraît à l'aise. Il balance quelques punchlines bien senties telles que « le Brexit n’aura pas lieu », « Les religions doivent être un facteur d’unité », « Il faut opposer au terrorisme la force et la raison », ou encore « depuis que je suis Président de la Commission, je n’ai perdu aucune illusion parce que je n’en avais pas ». Écoutant attentivement toutes les questions, il en esquive pourtant certaines grâce à des pirouettes humoristiques qui font mouche à chaque fois. La salle est conquise, il n’a pas fait un seul « bide », un petit miracle pour un homme politique. Il faut dire, en toute objectivité, que Jean-Claude Juncker est quelqu’un de drôle.
Dans ses réponses aux questions, on retiendra deux-trois choses. Par exemple, sa sévérité face aux amalgames associant migrants et terroristes quand on lui pose la question des déclarations d’hommes politiques polonais à ce propos. Sur la crise des réfugiés et le rétablissement partiel des frontières en Europe, notamment dans les Balkans, il fustige les États-Membres qui, selon lui, n’appliquent pas les décisions qu’ils ont eux-mêmes prises. Sur la Syrie, il répète qu’il faut « tempérer » les jugements sur ce pays, sous le prétexte que, selon lui, les occidentaux connaissent mal cette région. Sur Assad, même chose, il faut en parler « avec plus de nuances ». Bon.
Enfin, à propos de l’avenir de l’Europe, et puisqu’un jeune homme lui pose la question, l’heure n’est pas au fédéralisme selon lui : il y a des problèmes d’urgence qui passent avant. Juncker considère en revanche qu’il sera nécessaire, dans le futur, de repenser l’architecture européenne : une Europe à 30 ou 35 serait trop et ne serait plus « une famille ». Il reconnaît en effet qu’il y a de plus en plus de divergences de valeurs en Europe, en particulier entre l’Est et l’Ouest. Quand on lui demande quelles valeurs il partage avec Viktor Orbán, Juncker répond un évasif : « certaines… ». L'avenir de l'Europe dépendra peut-être de ces quelques valeurs communes qu'on a pourtant du mal à désigner.