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Dessine moi une banlieue !

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Entre hip hop et verlan, la culture « banlieue » regorge de créativité. Et pour répondre au chômage et à la violence, les projets artistiques fleurissent dans les ghettos urbains, de Paris à Bucarest.

Hip hop. Deux onomatopées qui résument à elle seules la culture de ces « ghettos » urbains, enclavés dans les périphérie des grandes métropoles. Originaire des Etats-Unis, le mouvement débarque dans les cité d’Europe occidentale dès les années 80 et permet alors à certains jeunes de s’émanciper en revendiquant une identité propre.

Métissage et rap

A travers la danse (le smurf ou le break dance), la musique (rap, R&B) , les arts graphiques (tags et graffs), la façon de s’habiller « streetwear » - casquettes, pantalons baggy très large, hommage à l’univers carcéral américains où les prisonniers n’avaient pas le droit aux ceintures et avalanche de bijoux tape à l’œil-, ces jeunes se rassemblent en « tribus » et ré-inventent en permanence leurs propres codes. Egrenée au fil de films cultes comme « La Haine » (Kassovitz, 1995), d’idoles comme Eminem ou Fifty Cent ou de mode. De plus en plus de rappeurs créent d'ailleurs leurs fringues de la marque « FU BU » de LL Cool J à « Com8 » de Joey Starr de NTM.

Cette société parallèle décalée offre à une génération de banlieusards l’opportunité de revendiquer sa spécificité, d’exprimer ses angoisses et déceptions face à un modèle d’intégration dépassé. Dans l’Hexagone, l’usage du verlan, le langage à l’envers est d’abord employé par les « keums » (mecs) coincés dans les barres HLM des « téci » (cité) avant d’envahir le vocabulaire commun. Un jargon auquel se greffent argot, abréviations phonétiques du « SMS staïle », anglicismes ou des expressions arabes comme « wesh, wesh » pour « salut ». Exemple : le titre pour le moins codé du film français sorti en 1997 « Ma 6T va cracker » (ma cité va exploser).

Ces coutumes se réapproprient langue, écriture mais surtout une histoire et une culture oubliées par les manuels officiels : le rap puise ses racines dans l’art parlé des griots africains, dans le blues, musiques des esclaves noirs immigrés de force aux Etats-Unis. C’est par essence une musique de contestation de l’ordre établi. Depuis la sortie du premier tube en 1979 de « Rapper’s delight » par Sugar Hill Gang, le rap est devenu un marché juteux, popularisé par des artistes commerciaux comme MC Solaar ou IAM en France, Samy Deluxe en Allemagne ou 7 notas 7 colores en Espagne, désormais écoutés par l’ensemble de la jeunesse. Légende, mots, codes...cette culture du béton se retrouve aujourd'hui d'une banlieue européenne à une autre suscitant souvent l'incompréhension de quiconque n'y a jamais vécu.

L’ art made in banlieues

Face au fossé culturel avec l'élite et aux mésententes réciproques, l’art au sens large peut s’avérer être une porte de sortie pour des jeunes « ghettoïsés » dans leur cité, confrontés au chômage de masse et à un avenir incertain. De nombreux projets artistiques intégrant ces cultures voient le jour dans les banlieues des villes européennes. Des mouvements associatifs ont effectivement compris depuis longtemps que l’art pouvait être un facteur d’intégration de populations souvent issues de l’immigration et reléguées dans des quartiers défavorisés. Le réseau « Banlieue d’Europe » composé d’universitaires, de représentants de municipalités et d’artistes réfléchit depuis 1992 aux questions de l’intervention artistique dans les banlieues.

Bel exemple, le centre de formation de l’International Munich Art Lab, créé en 2001 à la suite de l’expérience très réussie du « WestEndOpera », un opéra hip hop joué avec des jeunes coupés du milieu scolaire, vise à donner à des personnes sans formation un bagage artistique (danse, théâtre, musique) apte à les réconcilier avec la vie active. A Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, le CCO, Centre culturel Œcuménique, promeut la diversité culturelle et soutient des projets artistiques de sculpteurs, d’acteurs, de « taggueurs « …en facilitant leurs démarches auprès des institutions culturelles officielles. Pour Fernanda Leite, du CCO, «l’art recrée des possibles », surtout vis-à-vis d’une population immigrée mal intégrée et qui a alors tendance à « idéaliser son passé et sa culture traditionnelle ».

En Roumanie, Silvia Cazacu, de « Banlieues d’Europ’Est », souligne que «la jeune génération reste très méfiante face à la politique et aux stratégies officielles. L’engagement associatif devient alors l’instrument le plus adapté et efficace pour faire évoluer les choses ». Un collectif de jeunes, promeut à Bucarest la culture de quartiers, le graffiti, le hip hop, et prépare la « révolution culturelle de 2020 ». Même si elles ne sont pas la solution miracle au « malaise des banlieues », ces expériences constituent un réservoir d’idées dans lequel les politiques devraient piocher. A condition de savoir tendre l’oreille.