Des Ulysse perdus en Grèce moderne
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Lors du festival des Nuits de Fourvière qui s’est déroulé à Lyon cet été, Géraldine Bénichou a monté une adaptation de l’Odyssée d’Homère (voir le spectacle) dans laquelle le personnage d’Ulysse devenait le symbole de tous les émigrés du monde; plusieurs acteurs d’origines différentes donnaient un visage multiple à l’éternel errant.
La Grèce moderne compte elle aussi de nombreux nouveaux Ulysse de la sorte sur son territoire.
Ce qui les attend à leur arrivée sur les côtes helléniques nous est rapporté dans quelques articles glanés les derniers mois, comme autant de sonnettes d’alarme tirées au nom des droits de l’Homme. (Merci à Coré Caro pour la photo : sur la pancarte: "Bienvenue dans notre village !")
Porte d’entrée maritime de l’Union européenne du côté oriental, la Grèce connaît depuis quelques années un afflux de plus en plus nombreux de réfugiés clandestins, surtout venus d’Iran, Irak, Palestine, et Asie. 112.000 d’entre eux auraient été arrêtés cette année, d’après le journal Eleftherotypia du 6 mai dernier. Les autorités grecques semblent débordées, et leur gestion de ces flux est jugée désastreuse par certains observateurs de l’UE. Mais comme l’explique un membre de la Ligue des droits de l’homme grecque, Andréas Takis, “en application de la règle ‘Dublin2', les pays d’entrée dans l’UE dans lesquels les étrangers s’inscrivent à leur arrivée doivent les prendre en charge et en ont la responsabilité. En conséquence, si ces personnes sont arrêtées en situation irrégulière dans un autre pays, ils sont renvoyés dans le pays où ils sont arrivés initialement sur le territoire européen. C’est pourquoi fatalement ce sont les pays-frontières de l’Europe qui doivent prendre la responsabilité de la gestion de ces personnes.” Tous les observateurs des conditions de détention des étrangers en situation irrégulière en Grèce mentionnent la situation déplorable qui prédomine. Toutefois, Andréas Takis juge plus grave encore le fait qu’une loi grecque de 2004 interdise de fait à toute demande d’asile d’aboutir; ainsi grossit une population sans papier, proies faciles, prêtes à être exploitées, comme dans les champs de fraise du Péloponnèse, par exemple.
À propos des conditions de détention, deux éditions récentes de ''To Vima'' et ''Ta Nea'' rendaient compte d’un scandale qui transparaissait dès le titre des articles: “Des policiers transportent des immigrés comme des animaux” et “Ils les ont entassés comme des bêtes”. En effet, un simple véhicule agricole transformé en fourgon de police a servi de moyen de transport pour sept clandestins albanais, les mains liées, jusqu’au tribunal de Larissa où ils devaient être conduits pour séjour illégal en Grèce. Ta Nea détaille un peu l’affaire, et l’on apprend que ce sont des témoins, choqués par la scène, qui ont fait remonter l’affaire au chef de la police, lequel a immédiatement procédé à la mutation du responsable de la police des frontières qui avait commandé cette action. Les témoins de la scène ont rapporté aussi l’attitude ironique et méprisante des policiers chargés du transport de ces justiciables: “Vous n’avez qu’à donner plus d’argent à l’Etat si vous voulez qu’on ait des voitures plus confortables!”, auraient-ils lancé aux passants.
Par ailleurs, les accostages imprévus d’embarcations pleines d’êtres humains à la recherche désespérée de l’Europe, relancent les vieilles rancoeurs gréco-turques. En effet, selon ''To Vima'' du 05 septembre, les autorités grecques accusent Ankara de faire débarquer des clandestins dans les eaux territoriales grecques, en particulier à Lesbos, depuis le mois d’août. Une frontière qui passe dans l’eau étant par nature moins tangible que celle qui se dresse sur terre, il est certain que la manoeuvre est plus aisée par voie de mer. Les procédures judiciaires engagées par le ministère des Affaires étrangères grec n’ont pour l’instant pas trouvé d’écho chez leur voisin.
Envisageons pour finir rapidement les quelques lueurs d’espoir dans cette tragédie moderne: “L’Europe au secours des clandestins de Grèce”, voilà le titre qu’auraient pu donner à leur article les journalistes d’''Eleftherotypia'' quand, le 1er septembre dernier, ils ont rendu compte de l’intervention de sauvetage menée au large de l’île de Lesbos auprès de 36 réfugiés (en majorité des Afghans, et des Palestiniens, des femmes dont une enceinte, des enfants…) qui avaient été laissés sur un rocher entre Grèce et Turquie, sans eau, sans nourriture, par des passeurs turcs que la langue grecque baptise “marchands d’esclaves”. Ce dont se réjouit l’article, c’est que ces hommes et ces femmes (frères et soeurs modernes d’Ariane abandonnée en mer Egée), ont été sauvés par l’action concertée de gardes-côtes italiens qui travaillent dans la région avec les Grecs depuis début août dans le cadre d’une collaboration européenne; ils ont été également secondés par des moyens aériens adaptés et fournis par … la Finlande, qui participe au même dispositif européen. La Grèce ne disposerait-elle pas de moyens adaptés à cette situation devenue malheureusement courante ? “Les patrouilles de surveillance grecques et leurs moyens adaptés à la haute-mer sont stationnés au Pirée…” commente l’article. Intéressant, quand on sait que ce sont les côtes d’Asie mineure qui connaissent surtout ce phénomène de débarquement de réfugiés clandestins.
Enfin, c’est encore au bord de la mer, à Patras, que les immigrés sans papier pouvaient trouver un peu de solidarité fin août (voir article dans ''Eleftherotypia''): une manifestation (“No borders”) a rassemblé sur trois jours des immigrés vivant sur le sol grec et des sympathisants autochtones, pour dénoncer la création dans ce grand port du Péloponnèse d’un Foyer d’accueil pour immigrés qu’ils considèrent comme “une prison”. Les manifestants revendiquaient la libre circulation des personnes, cependant qu’en Crète, le forum de l’immigration déplorait la bastonnade dont venaient d’être victimes un Marocain et un Lybien, agressés par des bandes de jeunes Crétois. Visiblement, l’affaire n’est pas inédite, malgré les appels au calme et à la raison lancés par le Forum de l’immigration en direction de la population locale…
Le chemin est long, Ulysse, jusqu’à Ithaque…