Des 'Pristinali' ouverts sur le monde
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jane meryLes jeunes Kosovars ont la mode et la musique au cœur pour faire bouger leur ville et se rapprocher un peu du reste de l’Europe. A la radio et sur les bancs de l’école d’art, les idées se bousculent dans une ville en pleine mutation.
Pendant la guerre, au Kosovo, la station de radio ‘Kontakt’ a tenté de ressusciter l’identité sur le pavé de la plus grande ville de la province : Pristina. Un contact, une urbanité, qui avait implosé pendant la crise entre Serbes et Albanais. « En se souvenant de cette très vieille ville, et de son rythme de vie, nous devrions encourager ceux qui s’ignorent dans la rue à renouer des contacts ». La lettre ouverte de Zvonko Tarle, le fondateur de cette petite station destinée au président yougoslave Slobodan Milosevic, fut un coup d’épée dans l’eau. La station de radio multiethnique a fait taire ses ondes au bout de dix jours d’émission seulement, en 1998.
Folk FM
Aujourd’hui, Pristina vit à un rythme nouveau, identifiable et centrée autour des ‘Pristinali’, les habitants de cette ville du Kosovo. Une nouvelle station de radio numérique a commencé à émettre en 1999 et redéfinie l’urbanité d’après-guerre : « Je me suis senti con quand je suis rentré, même si on était tous contents de se voir », explique Dardan Islami, 34 ans, le co-fondateur de 'Urban FM' et d’une boite de nuit géante, le ‘Spray Club’, située à quelques kilomètres de la ville.
Sa capitale, autrefois 100% Serbe, puis vidée pendant la guerre, vient d’être repeuplée par pas moins de 200 000 nouveaux arrivants venus des villages alentours. « Ils ont bouleversé l’équilibre que nous avions trouvé», se plaint Islami, dans une voix de parrain de la mafia. « Nous avons perdu notre identité en une journée quand ils sont arrivés avec leur musique folk et leurs habitudes quotidiennes si différentes des nôtres ».
'Urban FM' a finalement fait son trou dans cette ‘Pristina paysanne’ avec un son plus rock et une musique électronique non commerciale. 90% des morceaux qu’elle diffuse viennent d’ailleurs de Londres, grâce à Islami et à son ancienne vie nocturne, quand il avait été élu dans le Top 5 des barmen les plus appréciés de l’Ouest de Londres, en 2006.
« S’accrocher à notre style alternatif, en live, a été difficile », se souvient-il. Et à voir le paysage médiatique de l’époque, on le comprend : seulement une radio publique et quelques autres stations débutantes et inexpérimentées émettaient alors. Six mois, une antenne et un transmetteur plus tard, Urban FM sort du lot et commence son évolution.
A partir du 11 septembre 2001, la jeune radio traduit les infos en direct de 'CNN' aux foules d’oreilles curieuses de l’actualité d’alors. En 2002, elle s’accroche, avec des DJ de plusieurs origine, au ‘train de l’amour’ dans lequel les réfugiés se déplacent jusqu’aux frontières serbes et macédoniennes. Avec 200 000 auditeurs en 2004, l’équipe arrive dans le spectre national en 2006, en couvrant pas moins de 70% du territoire kosovar. Aujourd’hui, l’équipe est composée de onze personnes, d’une moyenne d’âge de 23 ans.
A la rencontre des Pristinali
On peut apercevoir les lumières des téléphones portables d’une fenêtre de la maison où Urban FM émet. Le show en live, l’un des cinq programmé par jour, est annulé ce soir, à cause d’une panne de courant. Le présentateur et le membre d’un programme de jeunesse européen, Barth Shkreli, 23 ans, ainsi que DJ Strella nous guident à l’étage à la lueur d’une bougie. Un aquarium est installé contre le mur qui sépare la pièce du studio d’enregistrement. Par la fenêtre, les collines surgissent de l’obscurité.
Les DJ deviennent rapidement mes hôtes de nuit à Pristina. Un coup de chance pour l’occidentale pourrie gâtée que je suis. Ici, il n’y a pas vraiment de cartes de la ville. Oubliez les guides. Jhum, 25 ans, me dit que, s’il existait, le guide de Pristina ne conseillerait pas aux touristes le bar ‘Tusks’ sur le boulevard Mère Teresa. Un établissement dont il est co-propriétaire et dans lequel il craint les redoutables ‘paysans’ qui y arrivent de l’extérieur de la ville. Dans un autre local, le DJ me présente, en plaisantant, à ‘la fille du président’. Rea, la fille de Veton Surroi, l'ancien leader de Ora, un parti politique reformiste. J’apprends d’ailleurs, par la même occasion, que Dardan Islamu vient de quitter Urban FM pour travailler à Ora.
Jeunes électeurs
Dans un bar à shisha, plus tard dans la nuit, ses copains le charrient car son numéro de candidat aux élections est le 69. Son parti, Ora est arrivé dernier aux dernières élections locales le 17 novembre dernier. Pourtant, le rapport des Nations Unies indiquait que 81,4% des jeunes s’étaient engagés à voter.
Du coup, Islami ne démord pas à l’idée d’incarner la voix de la jeunesse dans le spectre politique. 21% de la population a entre 15 et 25 ans et plus de 50% a moins de 25 ans. « Pensez à l’âge qu’ils avaient il y a seulement huit ans. Ils sont nés dans un état d’urgence, ils ont fait l’expérience de la guerre à l’adolescence, sont partis vivre dans des camps de réfugiés et sont revenus en 1999. Des enfants sympas vu l’époque à laquelle ils ont été élevés ! La plupart sont étudiants. Ils ont de bons diplômes et des plans pour le boulot. 99% d’entre eux parlent l’anglais ce qui est étrange car, peu ont déjà vécu à l’étranger », observe Islami.
75% de Kosovars utilisent Internet : « Ils sont vraiment pro-occidentaux », poursuit Islami. « Ils écoutent de la musique, regardent MTV, des films et on peut voir une influence de la mode européenne », poursuit-t-il.
Modeler l’aujourd’hui
Enkeleida Shatri, 32 ans, est venu au Kosovo après la guerre en 2000. Grâce aux fonds privés de son docteur de mari - « C’est un peu difficile d’avoir son propre train de vie pour une femme », nous dit-elle en aparté- elle a fondé un institut de l’art et de la mode qui fête ses trois ans, et inaugure la première génération de designers lors de la remise des diplômes de la première promotion, l’été prochain.
Tournées vers l’Europe, les étudiants de dernière année vont partir en échange au printemps 2008 pour la première fois, à l’Institut Burgo de la mode de Milan. « Le problème, poursuit l’ancienne aspirante au titre de Miss Albania, ce sont les standards qui sont différents pour nos 51 étudiants. »
Valdrin Sahiti, un jeune homme de Pristina en troisième année de formation, est le seul ‘mâle’ de sa promo. Un autre seulement est en Italie, plongé dans l’étude du design industriel. « Cette année, nous accueillerons deux nouveaux garçons », annonce le reste de la classe, ravie. Valdrin a 21 ans et sourit alors que je lui demande si son premier diplôme en économie et en finance est plus « raisonnable » dans une société encore très patriarcale : « L’art et la mode ne sont pas les premières priorités aujourd’hui, c’est sûr. Mais nous aurons de bonnes carrières parce que le Kosovo n’a pas de bons stylistes », ajoute Enkeleida. « Pourquoi partir ? Nous ne sommes pas si loin de la mode européenne. Les gens font du shopping. Nous avons Zara et Mango. Tout le monde regarde la télévision. Il n’y avait rien ici après la guerre, nous ne pouvons pas avoir une culture déjà enracinée dans le monde de la mode. »
Top model pour un Etat au top
Dhurata Lipovica, 19 ans, attends devant le salon de coiffure ‘Fama’, sa longue silhouette apparaissant, fantomatique, dans la rue sombre et pluvieuse. Après avoir remporté un concours et être allé à New York pour devenir le premier top model ‘Ford’ en janvier 2007, Dhurata a préféré donner la priorité à sa famille, à ses études et au Kosovo. Elle avait dix ans pendant la guerre et n’a pas voté aux dernières élections. Elle ne sait pas si elle se sent européenne ou non, car « personne ne lui a jamais demandé »
Quand elle était aux Etats-Unis, elle devait sans cesse répondre à une question piège et situer son pays à ses interlocuteurs : « Je ne pouvais pas dire près de la Serbie. Et personne ne connaît l’Albanie, mais ils situaient l’Italie, heureusement ».
Le monde de la mode est empêtré par les valeurs morales, pense la jeune fille. « Les mannequins disent aux stylistes quoi faire, en règle générale. Nous avons besoin de conférenciers. Il y a tellement de potentiels et pas assez de gens expérimentés ici. Il n’y a pas de vrais magazines de mode, pas d’hommes mannequins. Ce n’est pas rigolo pour les garçons. J’en connais un qui est parti vivre en Grèce : les hommes sont tellement mieux payés là-bas. Une copine de 18 ans a décroché une opportunité en Italie mais son père ne l’a pas laissé partir. Ici, vous vivez chez vos parents jusqu’à 25 ans. »
Dhurata espère que les valeurs morales évolueront et permettront aux mannequins de porter des bikinis librement pendant les séances photo, par exemple. « Si nous voulons être au même niveau que les Européens, nous devons changer ». Dorénavant étudiante en management à l’université américaine du Kosovo, Dhurata prévoit d’utiliser sa thèse et sa formation aux Etats-Unis pour ouvrir sa propre agence pour les mannequins « Si nous pouvons changer les mentalités, nous serons un grand pays, même si le Kosovo, c’est déjà super ! On fera de Pristina une ville comme New-York ».
Photos dans le texte: Xhoni Depo bar - prononcer 'Johnny Deppo' - a ouvert illégalement sous le stade de football de Pristina, un bar très à la mode auprès des habitants.
Miss Albania wannabe a créé l'Académie de Pristina après les encouragements de Fernando Burgo, le directeur de l'Institut de la mode de Milan.
Dhurata Lipovica a été formée à New-York par le Kosovar Albanais et photographe reconnu, Fadil Berisha (Nabeelah Shabbir)
Un grand merci à Flora Loshi
Translated from 'Prishtinali': urban faces in a raw capital