Des elections à Juncker: changement ou statu quo?
Published on
Cafébabel Bruxelles a suivi la transformation du visage de l'Europe, des élections au Parlement européen jusqu'à la nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la présidence de la Commission européenne. L'UE se dirige-t-elle vers un véritable changement ou préfèrera-t-elle le confort du statu quo?
Vendredi 25 mai, élections européennes
Le nouveau Parlement européen vient d’être choisi. Outre l’abstention (67%) qui pose toujours la question de la légitimité démocratique de l’Union européenne, on constate une division politique Nord /Sud de plus en plus marquée. Nombre de pays du sud et plus généralement des pays qui ont subi les mesures d’austérité comme l’Irlande, la Grèce, Chypre, l’Italie ou encore le Portugal, ont donné leur voix à la gauche. Tandis qu'au nord, les partis conservateurs arrivent en tête (Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Autriche).
En Grèce le parti d’Alexis Tsipras : Syriza (GUE) remporte 26% des voix. Les résultats grecs confirment le désaveu du parti socialiste (PASOK) qui, ne cessant de perdre des électeurs, se présentait sous un nouveau nom : ELIA, ne réussissant à totaliser que 8% des voix. Au Portugal et en Italie c’est le parti socialiste qui arrive en tête avec le meilleur score pour les socialistes italiens (40%).
Autre résultats notables, la victoire des eurosceptiques au Royaume Uni (26% des voix pour le UKIP), celle de l’extrême droite en France (25% des voix pour le Front National) et la grande percée en Pologne par exemple où le parti euroscpetique a 19 sièges et passe deuxième parti du pays. Il est intéressant de noter que pour la première fois en France les votes blancs ont été pris en compte et représentent près de 500 000 votants. Ces résultats sont également la conséquence de nombreuses réformes des systèmes électoraux, notamment en Grèce, qui visaient à favoriser les partis traditionnels (les votes blancs étant automatiquement comptabilisés pour les partis en tête).
Si la montée des « extrêmes » traduit un désaveu des grands partis traditionnels, la tendance à les mettre dans le même sac durant la campagne ne s'est pas justifiée dans les faits. La Gauche Unitaire Européenne a porté un programme pro européen, contrairement aux eurosceptiques britanniques ou français. Pourtant de nombreux analystes politiques redoutaient une montée des extrêmes qu’elle soit de droite ou de gauche, arguant la menace eurosceptique.
Pourtant, outre les différences en termes de programme politique (économique, social, immigration) la gauche progressiste voit les solutions à la crise d’une manière profondément pro-européenne. « To make change possible, we need to influence in a decisive way the life of ordinary people in Europe now. We want not only to reverse the direction of current policies, but also to extend the scope of public intervention and citizen engagement and participation in European policymaking and service design. We, thus, need to build the broadest possible social and political alliances» déclare Alexis Tsipras, lors de son élection comme candidat à la présidence de la Commission européenne le 24 avril 2014.
Ce n’est pas le cas du programme de Marine Le Pen « Si le peuple français nous place en tête le 25 mai prochain, le président de la République ne pourra pas ignorer le rejet de la construction européenne qui se sera exprimé. Les instances européennes seront obligées de freiner cette course folle » déclarait-elle à un mois des élections européennes. Cette différence est fondamentale, car si les Français voulaient voir des changements politiques au niveau européen, le vote du front national va dans le sens inverse « au lieu de peser d’avantage, les français se sont tirés une balle dans le pied, on va peser encore moins. » déclare Jean Quatremer lors d’une interview consacrée à Cafebabel Bruxelles. En effet « en votant front national, la représentation française n’est plus de 74 européens sur 751 mais de 50 européens sur 751, parce que les 24 députés européens du front national refusent tout compromis et le jeu de la démocratie européenne, ils veulent la faire exploser ».
G7 : on fait le point sur l’Italie
Les 4 et 5 juin avait lieu à Bruxelles, la réunion du G7 consacré à l’Ukraine. Pas grand-chose ne sort du huit clos, les journalistes Cafebabel en profitent pour rencontrer Lorenzo Consoli, journaliste italien et lui demander son avis sur les élections européennes et la nomination du président de la Commission européenne.
L’Italie fait partie de ces pays du sud qui ont voté pour la gauche. Matteo Renzi, fraichement Premier ministre, voit son parti récolter plus de 40.8% des voix. Son programme basé sur les réformes et l’investissement sert de socle pour la présidence européenne de l’Italie qui débutait au 1er juillet 2014. Ainsi selon Lorenzo Consoli « Ce que Renzi propose c’est au lieu de dire que l’on va faire des plans de relance et continuer l’austérité, il faut faire l’inverse parler d’austérité mais faire de la relance ».
Forte de ce résultat, l’Italie voit sa position renforcée au sein de l’UE et propose une autre politique que les pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et la Finlande par exemple. Renzi demande une plus grande flexibilité budgétaire, parle de relance et d’investissement, tandis que l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande veulent que la règle des 3% soit effectivement respectée et se montrent très critiques à l’égard de l’assouplissement des exigences en matière d’austérité en Europe. En ce début de présidence italienne, Renzi prend sa place et compte la faire peser.
Conseil des 24 et 25 juin : nomination de Juncker à la présidence de la Commission
Après d’intenses négociations au Conseil européen, le nouveau Président de la Commission sera bien, comme il était prévu et pour la première fois dans l’histoire européenne, désigné en fonction des résultats des élections européennes. Jean-Claude Juncker est nommé par le Conseil, à la tête de la Commission plus d’un mois après les élections et certainement aussi grâce à la détermination du Parlement Européen de ne voter que pour un des candidates officiels au poste.
Qualifié par M. Barroso et Van Rompuy comme étant "un politique réaliste, passionné d’Europe et ayant une grande expérience des affaires européennes", les deux seuls représentants à ne pas avoir voté pour lui au Conseil sont M. Cameron (Royaume-Uni) et Viktor Orban (Hongrie). Marc Rutte, Premier ministre néerlandais et le Suédois Fredrik Reinfeldt s’étant ralliés à la cause Juncker au dernier moment. M. Junker était vu comme le choix logique, issu de la démocratie européenne, la droite européenne restant le parti le plus représenté au Parlement européen, et soutenu par tous les autres candidats. D’Alexis Tsipras à Martin Schultz, ils insistaient sur le caractère anti démocratique si la personne nommée au poste ne faisait pas parti des candidats.
Martin Schultz, arrivé en deuxième position des élections européennes, se voit attribuer un second mandat au poste de Président du Parlement européen. Si Junker et Schultz prennent la tête des deux institutions les plus importantes de l’Union européenne, on ne peut s’empêcher de penser à la situation de « grande coalition » qui se met de nouveau en place au niveau européen. Le candidat du PPE à la tête de la Commission et celui des socialistes au Parlement.
Les questions sont peut-être de savoir: comment va pouvoir fonctionner ce nouvel hémicycle européen? Quel rôle va être joué par les eurosceptiques ? Syriza va-t-elle pouvoir comme promis, influencer la fin des mesures d’austérité et de la Troika et rediriger les politiques européennes ? Notament à travers le nouveau Vice Président du Parlement européen : le grec Dimitris Papadimoulis du groupe GUE/NGL. Avec le pouvoir donné au deux grands partis européens, l’Union européenne va-t-elle être capable de repenser et rééquilibrer les politiques européennes ? Notamment en termes de solidarité, de lutte contre le chômage, de justice sociale et de programmes d’investissements communs.
Ce Conseil marquait également la fin de la présidence hellénique du Conseil. Présidence qui, malgré le plus petit budget de l’histoire, n’en aura finalement utilisé que 19 millions sur les 50 disponibles. Illustrant ainsi la Présidence « Spartiate » qu’ils avaient promis.