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Derrière le Mur, la nature

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Le rideau de fer restera à jamais le symbole de division entre les peuples. Ironiquement, la faune et la flore y ont trouvé refuge pendant quarante ans... dans une Ceinture verte, aujourd’hui réserve naturelle.

Une réserve unique au monde. Montagnes, marais, forêts… Ce corridor de nature préservée traverse sur plus de 8 500 kilomètres, de la Finlande à la Grèce, les paysages les plus variés. Depuis l’ouverture des frontières, ce no man’s land naguère protégé par le rideau de fer est en danger. Dès décembre 1989, un mois après la chute du Mur, 400 écologistes d’Allemagne de l’Est et de l’Ouest se réunissaient dans l’objectif de préserver la zone. Si le premier projet allemand, mené par le docteur Kai Fröbel, ne concernait que l’ancienne frontière (désormais intérieure) du pays, l’initiative a depuis été étendue à l’ensemble du tracé de l’ancien rideau de fer. 

(Photos:Helmet13/PeterNijenhuis/flickr)On l’appelle aujourd’hui la Ceinture verte. Elle abrite plusieurs centaines d’espèces animales ou végétales, dont certaines, très rares, sont inscrites dans les listes d’espèces en voie de disparition. Contre toute attente, les scientifiques y ont découvert une incroyable biodiversité. Parce que les activités humaines y sont très peu présentes, elle permet la migration libre des animaux entre leurs différents habitats naturels, alors qu’elle est partout ailleurs rendue très difficile voire impossible compte tenu de la fragmentation des espaces naturels. Ces migrations sont pourtant vitales, car elles permettent d’assurer la diversité génétique d’espèces comme le loup ou l’ours, qui ont besoin de vastes territoires pour vivre.

Un ventre vert nature

Bien sûr, la Ceinture ne se limite pas simplement au périmètre de l’ancienne zone frontalière. Plus de 3 000 zones de conservation sont concernées, jusqu’à 25 kilomètres de part et d’autre du tracé du rideau de fer. Ainsi, elle permet de relier plusieurs parcs nationaux, des sites naturels protégés classés Natura 2000, et des réserves naturelles. C’est d’ailleurs depuis le parc national hongrois de Fertö-Hanság, situé à la frontière avec l’Autriche qu’a été lancée en 2004 l’extension centre-européenne de la Ceinture verte.

(European green belt.org)Au niveau européen, l’initiative est pilotée par Comité européen de l’Union mondiale pour la nature (UICN), situé à Bruxelles. Des partenaires locaux (ONG et agences gouvernementales) proposent ensuite des projets aux coordinateurs de l’UICN dans chaque pays. Alois Lang est autrichien et travaille comme coordinateur régional du projet à Sarród en Hongrie depuis 2005. Actuellement, son Comité étudie plusieurs réalisations tout au long de la Ceinture : « Nous travaillons sur un projet d’écotourisme près de l’enclave de Leningrad, entre la Finlande, la Russie et l’Estonie. Il s’agirait de créer une piste cyclable ainsi que des zones d’observations des oiseaux, pour mettre en valeur les atouts naturels de cette région. Nous sommes aussi en contact avec une organisation qui tente de préserver un lac à la frontière entre le Monténégro et l’Albanie face à sa transformation en zone de loisirs touristique par des promoteurs étrangers. »

Méconnue du grand public

Du côté des populations, le projet est perçu de façon différente selon les régions. On y voit tantôt une excellente opportunité de développement, tantôt une action de préservation écologique importante. L’expérience s’intègre parfois à des projets éducatifs, comme à la frontière austro-slovaque. Mais selon la situation économique, politique et l’intérêt culturel porté à l’environnement, la Ceinture verte reste parfois assez méconnue du grand public.

Au niveau des Etats, les plus actifs ne sont pas toujours ceux dont les populations sont les plus impliqués. « Bien souvent, il est assez facile de faire coopérer les gens au niveau local, assure Alois Lang. La population des deux côtés de la frontière partage souvent les mêmes origines ethniques, une culture commune, ou des conditions de vie similaires. C’est une question diplomatique d’une part, et d’engagement de la population de l’autre. » Si certains préfèrent regarder le train passer, d’autres se montrent particulièrement actifs. L’Allemagne, la Norvège, les Pays-Bas, l’Autriche ou encore la Suisse sont parmi les plus gros contributeurs du projet. L’Union européenne s’y intéresse également et devrait prochainement lui attribuer un financement. Certaines agences gouvernementales partenaires aident le réseau pour ses relations publiques, d’autres lui fournissent du matériel.

Réconcilier l’Est et l’Ouest

(dexter Perrin/flickr)Politiquement, l’initiative est d’autant plus symbolique qu’elle regroupe autour de mêmes objectifs les pays des deux anciens blocs : préserver la biodiversité et le caractère naturel des espaces frontaliers tout en assurant l’intégration des activités humaines dans ces zones protégées. Et elle pourrait devenir un modèle du genre. Car le caractère transfrontalier du projet nécessite une coopération constante entre tous les pays concernés. Tous n’ont pas le même degré d’engagement ni les mêmes méthodes en ce qui concerne la préservation du milieu naturel ou les actions de développement durable. Parmi les ONG elles-aussi, certaines n’acceptent pas encore un tel schéma de travail collaboratif.

Ce partage d’expérience prouve pourtant à certains égards qu’il est possible d’assurer des revenus décents aux populations locales sans pour autant endommager la nature, avec un recours à l’agriculture intensive par exemple. C’est dans les cas où l’activité économique semble en jeu, comme avec les investissements immobiliers près du lac monténégrin, ou encore avec cette station de ski qui devrait voir le jour à la frontière entre la Bulgarie et la Serbie, que la coopération avec les autorités locales trouve parfois ses limites. « Ces projets sont un moyen concret pour les élus locaux de montrer qu’ils peuvent changer les choses. Ils se font autour d’arguments que la population ne peut qu’approuver, comme la création d’emplois, regrette Alois Lang. Mais c’est parfois un lourd tribut à payer, car on sacrifie non seulement son environnement mais aussi une partie de la culture locale. Et une fois le changement entamé, il n’y a pas d’échappatoire. Nous voulons prouver qu’il existe des alternatives. »