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Dernier Asterix : le trait de l'époque

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Culture

Bien joué ! Le nouvel album d'Astérix a tout d'un classique moderne. Le Papyrus de César regorge d'idées très drôles, de l'humour caractéristique de la série et d'allusions réussies au présent. Mais surtout, on retrouve une histoire qui tient la route. Entre Julian Assange et des licornes.

Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute ? Oui ! C'est tout du moins ce qu'affirme un jeune auteur nommé Gaius Julius César dans son premier ouvrage. César a rapidement jeté aux oubliettes ses revers subis face au village gaulois. C'est sur l'avis de son conseiller en relations publiques que fut écrit le chapitre XXIV correspondant à ces échecs, mais celui-ci a finalement été supprimé sans être remplacé.

Lanceurs d'alerte

Mais c'est César qui est désormais en cause. Un scribe a donné le papyrus comportant ces histoires compromettantes à un lanceur d'alertes... pardon, à un colporteur, qui flaire maintenant le scoop.

Les allusions sont plus qu'évidentes - pas seulement parce que le fameux colporteur a les traits du fondateur de Wikileaks Julian Assange. Le nouvel Astérix est arrivé à l'ère Internet - tout en restant fidèle à lui-même. Évidemment, il y a eu de mauvaises langues pour dire qu'on a modernisé et donc trahi les héros de leur enfance. Y aura-t-il alors une guerre de tweets en Armorique ?  Les pirates laisseraient-ils couler leur bateau dans le flux de données ? Non, par Toutatis !

Les puristes autoproclamés auraient dû feuilleter les albums précédents : les allusions aux événements sociaux et politiques de notre époque ne sont pas une complaisance envers un public contemporain, mais quelque chose qui a caractérisé la série des Astérix depuis le début. Les boucs émissaires ont tour à tour été le tourisme de masse dans Astérix légionnaire, le capitalisme dans Obélix et compagnie, puis dans Le Domaine des Dieux un phénomène aujourd'hui connu sous le nom de gentrification. Des personnalités issues de la politique, de la société et de la culture pop ont fait figure de parrains dès le début, quand il s'est agi de créer des personnages secondaires. Stan Laurel et Oliver Hardy ont fait une apparition dans Astérix légionnaire. Pour La serpe d'or, Albert Uderzo a emprunté les traits de visage de l'acteur Charles Laughton (pour Gracchus Pleindastus).

Des guest-stars dans le village gaulois

Enfants, nous n'avons sûrement pas compris beaucoup de ces allusions visuelles, d'autant plus pour nous à l'étranger, puisque beaucoup faisaient référence à la société française. La nouvelle génération qui aujourd'hui feuillette les anciens albums doit également avoir des difficultés à identifier ces célébrités d'autrefois. Il en sera de même à l'avenir : les lecteurs d'Astérix reconnaîtront-ils encore dans trente ans la couleur de la mascotte de Twitter dans l'oiseau de Parabolix ? Se souviendront-ils du visage de Julian Assange ? Probablement pas. Mais ce n'est pas grave : les gags pour initiés n'empêchent pas la compréhension de l'intrigue. C'était là le génie de la dreamteam Goscinny et Uderzo : leurs histoires s'adaptaient aux tendances actuelles, les « gaulisaient » et étaient cependant assez universelles pour être encore comprises des décennies plus tard.

Avec la mort de Goscinny, tout cela a changé : Uderzo, ce dessinateur de génie, n'a jamais eu la patte pour une histoire à l'intrigue épaisse. Il était carrément visionnaire : c'était bien l'image, et non le texte, qui était au premier plan de sa création. Mais cela n'était pas évident dans le tandem qu'il formait avec cet acrobate des mots qu'était Goscinny. Après le décès prématuré de son ami, il a repris la mission de celui-ci à contre-coeur. Et d'album en album, son intérêt pour essayer de créer une histoire qui tienne la route a diminué. Astérix et Latraviata, L'Odyssée d'Obélix et Le ciel lui tombe sur la tête - les derniers albums d'Astérix rappellent les suites des Simpson, où l'on a exploité le filon jusqu'au bout et qui se contente largement d'une juxtaposition de gags isolés plus ou moins réussis.

De petites faiblesses dans le graphisme

Une nouvelle page se tourne : Ferri et Conrad ont appris des erreurs de leur premier ouvrage passable et racontent une histoire qui suit enfin de nouveau une intrigue convaincante. Les deux ne se perdent pas avec des citations du bon vieux temps, mais en créent de nouvelles. Des thèmes récurrents (le penchant pour la superstition et l'humeur batailleuse des Gaulois, l'addiction d'Obélix au sanglier) sont certes repris, mais ils trouvent un angle neuf. Et le druide Panoramix décroche enfin son moment « Maître Yoda - badass ».

Tout est donc parfait sous le ciel d'Armorique ? En fait, à un ou deux endroits, des petits défauts graphiques se sont glissés. Regardons à la page 36 comme Idéfix, qui devrait sommeiller sur le ventre d'Obélix, apparaît malheureusement comme un écusson en 2D cousu sur le pantalon. En matière de dynamique et de 3D, Conrad n'arrive pas (encore) à la cheville de son prédécesseur Goscinny, mais brille par ses scènes de foules grouillantes. C'est décidément en forgeant qu'on devient forgeron - il nous suffit de comparer les premiers dessins d'Astérix d'Uderzo avec son oeuvre plus récente. Et Rome ne s'est pas faite en un... - bon ok, on laisse tomber...

En bref : Ferri et Conrad ont réalisé un album d'Astérix que l'on peut enfin vivement recommander.

Lien vers le blog de l'auteur Jens Wiesner.

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Astérix, Tome 36 : Le Papyrus de César, Egmont Comic Collection, 1ère édition (22 octobre 2015)

Translated from Warum der neue Asterix diesmal alles richtig macht