Depeche mode : "nous sommes un groupe européen"
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Un peu court jeune homme
Restons dans les 80’s et approfondissons un peu de ce qui a été abordé ici et la, avec un autre monstre sacré de la pop européenne, Depeche mode. Rien que ça.
Pourquoi « européenne » ? Seulement parce qu’elle est issue d’un pays du continent, le Royaume-Uni ?
Tss tss, laissons la parole à Andrew Fletcher, claviériste du groupe :
Bien sur, mais un peu léger.
Ils auraient quand même pu creuser un peu chez « Can you hear me Europe ! », ça en valait la peine, sachant que l’objectif était "d’intéresser les jeunes" aux élections européennes et à l’Europe en général.
Mais on se doute que leur intérêt pour la « synthpop » est limité, et que leur truc à eux c'est plutôt le rock à papa pépé ou la musique classique. Fallait pas trop s’attendre à ce que des « upper-class » fonctionnaires (européens) soient branchés culture pop, et ça s’en ressent dans la « concision » de leur approche.
On va leur donner un coup de main altruiste et développer…
Les (de)racines musicales
Les balbutiements de Dépêche Mode ont lieu à la fin des années 70, à partir du groupe « Composition of sound » crée par Andrew Fletcher et Vince Clark, entièrement basé sur des synthés. Vince clark parti fonder Yazoo, le groupe s’enrichit de nouveaux membres et David Gahan, le chanteur, le rebaptise du nom d’une revue « française » : Depeche mode.
Déjà, le ton est donné...Depeche mode ne regarde plus vers la patrie du rock.
C’est l’époque du post-punk et de l’émergence de la musique électronique. Jean Michel Jarre vient de sortir « Oxygène » (1976), enregistré sans sa cave, qui contre toute attente pour une musique instrumentale et « extraterrestre » va devenir jusqu’à aujourd’hui un des disques les plus vendus au monde. En Allemagne, Kraftwerk et sa musique retro-futuriste et minimaliste à déjà atteint un statut culte. Giorgio moroder et Cerrone ont eux fait muter la disco américaine en transe synthétique, le premier en dévoyant une illustre inconnue, Dona Summers, l’autre en faisant exploser le format des chansons, qui passent de 3-4 minutes à 10-15 minutes. L’Europe voit enfin émerger sa culture pop, et large les amarres avec le rock’n’roll.
Bref, les Dépêche Mode (DM) ont 20 ans, le Royaume-uni vient juste d’adhérer à la CEE (confirmé par un référendum écrasant en 1976), et leur oreilles se tournent vers le continent et ses sonorités nouvelles.
Strangelove – strange music
Les tous premiers titres en disent long. Photographic, hymne minimaliste envers quelque chose d’aussi trivial qu’une photo, rappelle immanquablement la démarche Kraftverkienne, celle de la fascination pour le miroir (Hall of miroirs), l’autoroute (Autobahn), le train (transeuropa express), la radio…
...vraiment pas un sujet rock’n’roll a priori. Mais il y a pire.
Rapidement, des thèmes comme Satellite ou Monument commencent également à témoigner d’une fascination ambiguë pour l’autre coté du mur. Ce sera une constante de DM durant toutes les années 80, qui culminera avec « Music for the masses ».
Les pochettes, sinon les titres, sont éloquents de « A broken fame » et sa faucille et son marteau sur fond de « réalisme soviétique », à la Métropolis de « Construction time again »…
Parallèlement, « Everything count » affiche son acidité face au capitalisme, sur une musique guillerette, mais aux paroles sans ambigüités ( « les mains avides, raflent autant qu’elles peuvent – tout compte en grande quantité ») Des titres comme « Work hard » ou « pipeline » continuent dans cette voie, avec forces marteaux et Kling-Klang métalliques directement importés de la Ruhr.
Bref, au pays de Tatcher, les DM ne sont pas de “vrais” nihilistes punk rock à la Sex Pistols, et manifestent plutôt une critique discrète mais explicite, lâchons le (gros) mot en VO : les DM sont suspects de « socialism ». Et ça c’est pas franchement vendeur pour des rockeurs anglo-saxons….alors quand on se déclare "européen" comme le fait Andrew, c'est aussi,carrément au pays de tatcher de la provocation.
La marque de fabrique de DM est d’ailleurs d’allier satire « politique » à un premier degrés mélancolique, « romantique » ou carrément cuir-et-fouets, le tout sur une musique futuriste pour l’époque. "Master and Servant" en est l'exemple parfait ("jouons au maitre et à l'esclave")
Voila, la totale : pas de guitares, pas de rock, mais de la musique synthétique comme celle qui apparaît sur le continent. Et en plus ils sont aussi "socialists" que les bouffeurs de Choucroute et de Grenouille sont supposés l'être...et pour aggraver leur cas, sophistiqués et avec un nom français...
Nul n’est prophète en son pays
On imagine qu’avec tout ça, les débuts ont été difficiles. Personne n’aurait parié sur un groupe « sans guitare » et « sans batterie », obsédé par des thèmes pour le moins « inhabituels ». En Grande-Bretagne, Depeche Mode est perçu par l’establishement du rock comme le Cheval de Troie d’une « dégénérescence » venue du continent, mettant en péril le dogme du tout-rock.Les critiques et les magazines boudent.
En France, ou ne jure encore que par le rock et le jazz, c’est la même chose. Un groupe sans guitare, ce n’est pas un groupe. Pire, leur aspect androgyne, cultivé à souhait pour parfaire leur rupture, les fait passer pour un éphémère boys band.
Les Dépêche Mode sont pourtant, à tendre l’oreille, plus profond qu’il n’y parait. Ils parlent de leur quotidien triste dans le Royaume-uni tatchérien, en utilisant une musique aux assonances industrielles, dont la voix de Martin Gore et David Gahan vient réchauffer la glaciale pureté artificielle.
Ils sont tous issus des classes populaires, et cela s’en ressent.
On est décidément trop loin de Memphis, des costumes de cowboy à franges, et de la route 66. Et en plus, ça se dance
C’est précisément cette radicale « authenticité » doublée d’un son nouveau qui va fasciner l’Amérique. En 1984 « People are people » est propulsé numéro 1 et importe l’esthétique industrielle sur le nouveau continent. En 1987, « Music for the masse » (enregistré en France) va donner lieu à la mythique tournée 101 sur les routes poussiéreuses des USA.
Il faudra faire ce détour pour que l’Europe s’enflamme à son tour. Comme à chaque fois, les européens attendent ce qui vient, et dans ce cas revient, des USA.
En 1989 le bloc soviétique s’effondre. Le Road-trip américain de DM donne l’impression qu’ils re-jouent le rituel de la Rock-star, avec encore une fois une étrange distance ironique. Ce n’est pas leur monde, et pour cette même raison, l’exotisme Américain avec ses déserts, ses prêcheurs, et ses cowboys les fascine. Le « Violator » introduira le thème des télévangélistes, sur des riff « western » passé à la moulinette électronique. En même temps qu’il devient plus sombre et introspectif, le groupe continuera dans cette voie au long des années 90, désormais encensé et reconnu…
Finalement, les Britanniques Depeche Mode ont été les ambassadeurs de la toute jeune culture pop du vieux continent, à laquelle ils ont ajouté leur sensibilité et leur long héritage de la tradition pop, plus familier aux oreilles d'outre atlantique. .
Pas étonnant avec tout ça que le groupe soit -et se sente- beaucoup plus qu’un groupe Britannique...