Demandeurs d'asiles dans l'UE: loin des yeux, loin du coeur
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261.000 demandeurs d'asiles en 2009, 27.600 statuts de réfugiés octroyés. Au vu de la politique migratoire européenne menée depuis une vingtaine d'années, ces chiffres publiés par Eurostat ne devraient étonner personne.
Catherine Wihtol de Wenden, politologue, Claire Rodier, présidente du réseau Migreurop et le géographe Serge Weber en rappelaient la tendance forte à l'occasion de la Semaine des Migrations organisée par l'ENS de Paris: la criminalisation et l'enfermement des migrants non-européens.
« En 20 ans, l’Europe est devenu une des premières destinations d’immigration », débute Catherine Wihtol de Wenden devant le parterre d’étudiants de la prestigieuse École Normale Supérieure venus assister à la table ronde de la Semaine des Migrations, organisée par l'association Pollens. Constat positif a priori, notamment lié au fait que les ex-pays de départ d'Europe du sud sont devenus des pays d’accueil (l’Espagne est devenue la deuxième destination de l’immigration en Europe). Mais la bouffée d’optimisme retombe aussitôt : l’Europe est une terre d’espoir pour les demandeurs d’asile certes, mais c’est en construisant une véritable forteresse législative qu’elle répond à cette attractivité : « la politique migratoire de l’Europe n’a cessé de se construire sur des scénarios qui n’ont pas eu lieu », explique la chercheuse au CERI (centre de recherche de sciences po) pour décrypter cette politique. Non seulement les décideurs pronostiquaient en 1975 un reflux de l’immigration de masse vers l'Europe suite à la crise née du choc pétrolier, mais ils pensaient également que la mobilité des Européens permettraient de supplanter le reflux des migrants extra-européens. Double faute ! Les Européens sont restés sédentaires et les demandes d’asile vers l’UE n’ont cessé d’augmenter, jusqu'à atteindre les 500.000 par an dans les années 1990 ! Depuis les migrants non-européens paient les pots cassés de ces mauvaises projections : « Comment expliquer que la libre circulation au sein de l'Europe soit valorisée pour tout, produits de consommation, produits financiers, etc. sauf pour les migrants ? » interroge le géographe Serge Weber.
Forteresse européenne: entrée sur invitation
Les chiffres publiés par Eurostat sur les demandes d’asile en 2009 dans l’Union Européenne prennent alors tout leur sens : sur 261.000 demandeurs d’asile, 229.500 décisions de première instance ont été prises dans l’UE : 73% des décisions ont abouti au rejet de la demande d’asile ! Selon Serge Weber, nous avons affaire à un vrai travail de sape contre le droit d’asile et il s'aggrave à chaque nouveau traité européen: d’une part, on créé l’agence Frontex lors du sommet de Thessalonique en 2003 afin de lutter contre l’immigration clandestine, et le système Eurodac pour prélever les empreintes digitales des demandeurs d’asile dès l'âge de 14 ans. De l’autre, les États membres de l’UE jouent de plus en plus la carte de la politique du chacun pour soi, en signant des accords bilatéraux de renvoi aux frontières des « déboutés » du droit d’asile avec les pays de départ des migrants, en leur promettant en échange d’investir dans le développement de leur pays. Les frontières de l'Europe sont donc de plus en plus « délocalisées, ponctuelles et informatiques », précise le géographe Serge Weber.
Souverainisme plus que fédéralisme
Pour Catherine Wihtol de Wenden, la politique migratoire des pays de l’UE témoigne d'un retour au souverainisme. Ce qui domine, c’est la politique de l'aide au retour des demandeurs d’asile le plus loin possible des pays d’accueil au lieu de se pencher sur la création d'un statut de réfugié européen. Pas de politique migratoire commune en Europe, mais un « bricolage bilatéral, inadapté à la réalité migratoire européenne, d’autant plus inquiétant pour les droits de l’homme des migrants que l’on marchande leur reconduite à la frontière contre des politiques de développement qui ne sont pas toujours mises en œuvre »…Les intervenants sont unanimes : la conséquence ultime de la politique migratoire européenne, de la convention de Dublin en 1990 à la directive retour, c’est la criminalisation des migrants non-européens : « Désormais, "an asylum seeker", ça veut dire voleur au Royaume-Uni », jette Catherine Wihtol de Wenden, dont la langue se délit peu à peu. Symbole fort de cette évolution répressive, la politique migratoire était aux mains du Ministère du travail, c'est désormais l'affaire du Ministère de l'intérieur.
L'Europe délocalise l'enfermement de ses immigrés
Dernière intervenante, Claire Rodier, présidente de Migreurop et juriste au sein du Gisti (groupe d’information et de soutien des immigrés), arrive les mains remplies de cartes. Composées grâce aux informations recueillies par le réseau européen Migreurop, elles dressent le panorama des centres d’enfermement des migrants étrangers en Europe. On compte 250 « prisons pour étrangers » où seraient enfermés 30.000 personnes en Europe. Depuis le vote de la directive retour, ils peuvent être enfermés jusqu’à 18 mois ! Pour la juriste, voter une durée de détention si longue n’a d’autre utilité que de « dissuader ceux qui seraient tentés de les rejoindre ». Sur une de ces cartes, qui font parti d'un Atlas des migrants en Europe, on constate même que l'Europe délocalise leur enfermement dans des camps situés en Lybie, voire au Liban ! Quels sont les bénéfices d’une telle politique migratoire ? Difficile à dire, tant elle semble éloignée des principes de la convention de Genève de 1949. Les coûts en sont en tout cas élevés. En France, il suffit de multiplier le nombre de retour à la frontière (29.000 en 2009) par 14.000€, soit le coût d’une reconduite à la frontière (jusqu’à 20 ou 30.000 euros avec les frais de justice) selon la Cour des comptes en 2009, pour avoir un ordre d'idée du budget d'une politique qui vise à écœurer les demandeurs d'asile... Reste le coup incalculable de l’image de forteresse et de territoire fermé et répressif qui risque de coller longtemps à la peau de l'Union Européenne.
Crédits: Militant ©Gareth Harper/Flickr; Manifestation à Londres ©lewishamdreamer/Flickr; nounours ©sambeckwith/Flickr