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Débat Cafébabel Bruxelles : « Médias et sans-papiers, une parole confisquée ? »

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Bruxelles

Dans le cadre du cycle de conférences « Médias, inégalités, diversité : quel rôle pour les médias associatifs et communautaires ? » proposé par l'IHECS, Cafébabel Bruxelles organisait le 24 mars dernier un débat autour de la question des médias et des sans-papiers. Compte-rendu.

La crise économique, le terrorisme et la montée de la pauvreté en Europe sont autant de phénomènes qui contribuent à créer un climat de peur et de rejet à l’égard de l’étranger. Dans le cadre du cycle #débatsmédias proposé par l'IHECS, Cafébabel souhaitait questionner le traitement médiatique des sans-papiers. En effet, entre criminalisation et victimisation, l’individu lui-même est souvent absent des représentations véhiculées par la presse. 

En réunissant un représentant de la Voix des Sans-papiers, une spécialiste de l'analyse des discours médiatiques ainsi que plusieurs journalistes travaillant sur ces questions, l'objectif de ce débat était de déconstruire les termes et représentations utilisés pour évoquer les sans-papiers, mais aussi de mettre en lumière les pratiques de certains médias qui se veulent être les relais d'une parole confisquée.

« Parler sur » et « parler avec » : discours et responsabilité

La première partie du débat était consacrée à une phase d'analyse et de déconstruction des discours « dominants ».

Thierno Ball, représentant du collectif de lutte La voix des sans-papiers, rappelle la responsabilité énonciative de la presse et des médias en tant que « quatrième pouvoir » : au lieu de relayer les stéréotypes et les a priori véhiculés par les pouvoirs publics, les médias sont là pour fournir aux citoyens des informations et des outils qui leur permettent d'argumenter eux-mêmes sur la situation vécue par les sans-papiers. Il déplore ainsi le fait que les caméras ne s'intéressent à eux que pendant quelques minutes lors de leurs actions et manifestations publiques. Les images ne transmettent alors que les agitations d'une communauté close, dont les préoccupations nous sont étrangères. Quid du questionnement sur ce qui les pousse à agir ? Sur leurs revendications, leur situation, leur parcours, le contexte de leur exil ? Ainsi appelle-t-il non seulement les médias, mais aussi les pouvoirs publics, à une dynamique de rencontre et d'échanges, qui permettrait à chacun d'appréhender la situation dans tous ses aspects.

Peut-être alors aura-t-on des bases tangibles pour commencer à se poser les bonnes questions : de celles qui remettent en question notre certitude d'être du bon côté de la barrière, et nous impliquent au sein d'une même responsabilité collective. Après tout, l'immigration n'est pas un phénomène erratique, c'est le résultat du fonctionnement même de nos sociétés intégrées dans un monde globalisé, dont chacun profite à son échelle, et dont chacun doit donc assumer la responsabilité. 

Mais comment se défaire de ces images et stéréotypes qui enferment, isolent, figent la pensée dans des schémas binaires ? Comment dépasser l'alternative infernale migrant-criminel / migrant-victime et arrêter de tourner en rond ? Laura Calabrese, professeur d'analyse des discours médiatiques à l'Université Libre de Bruxelles, nous dégage une piste de réflexion en décryptant pour nous le fonctionnement du mot au sein d'un discours. Elle rappelle que le mot ne renferme pas une simple unité de sens, immuable et monosémique. C'est une erreur de penser qu'il est « neutre » et qu'il décrit une réalité objective. Au contraire, le mot fonctionne comme un « artefact social » : il évolue au fur-et-à-mesure des situations et des discours, se comporte d'une certaine manière selon l'univers social, se construit au travers d'un dialogue. Il fait boule de neige à travers les contextes d'énonciation et peut adopter d'autres significations d'un énonciateur à l'autre.

Migrant, immigré, clandestin, expatrié, étranger : ainsi faut-il se poser la question de ce que recouvre chaque mot en termes sémantiques. Récemment, The Guardian publiait un article intitulé« Why are white people expats when the rest of us are immigrants? », dont le titre pointe efficacement du doigt la hiérarchisation des termes liés au vocabulaire de l'immigration. Assumer sa responsabilité énonciative en tant que média commence par conscientiser cet aspect sous-terrain du discours, qui façonne et reconduit des représentations parfois à notre insu. Si le stéréotype possède pour Laura Calabrese une valeur cognitive avec laquelle il faut travailler, nous devons rester capables d'analyser ces stéréotypes pour savoir d'où ils viennent et à quel égard ils transmettent une information fausse ou stérile. 

Pour le journaliste et documentariste Thierry Leclère, le discours journalistique sur les questions d'immigration reste coincé dans des approches stéréotypées qui empêchent le débat d'avancer. Entre victimisation et criminalisation, il alimente un sentiment d'impuissance qui empêche de prendre ses responsabilités et de bien poser les termes du débat. C'est que cette double approche ne prend en compte le migrant qu'à un moment donné de son parcours, celle de son arrivée à l'intérieur de nos frontières, et absolutise ainsi une réalité partielle : celle d'une personne isolée, illégale et déconnectée. 

Le terme de sans-papiers reflète bien cette réduction d'une personne à sa situation en un lieu donné, à un moment donné. Pour lui, il faut dès lors décloisonner les points de vue, par exemple en retraçant le parcours du migrant, ou en croisant les regards des journalistes dans le pays de départ, de transit et d'arrivée. On peut alors facilement déconstruire beaucoup d'a priori, tels que « le migrant est plutôt un homme, isolé, sans travail, pas spécialement éduqué » : en réalité il y a de plus en plus de femmes et d'enfants parmi les personnes qui émigrent, avec par ailleurs un bagage scolaire de plus en plus important. On constate également qu'il n'y a rien de moins « déconnecté » qu'un migrant : c'est une personne en connexion avec son pays de départ, son pays d’arrivée,  porteur d'un projet ou des espoirs d'une famille restée au pays.

Via cette approche, la figure du migrant devient enfin un bon observatoire de notre société et des problèmes qui s'y posent. Le migrant n'est plus celui qui vient déposer sa misère à nos pieds, il ne fait que soulever l'existence difficile à assumer d'une misère déjà présente dans le fonctionnement même de notre système. Pour recentrer le débat et poser les bonnes questions, il est essentiel pour Thierry Leclère de revenir aux fondamentaux du journalisme : le reportage, le portrait, l'enquête de terrain. 

Médias « alternatifs » : quelles approches et techniques d’enquête ?

La première partie du débat fournissait, au travers d’un corpus de textes mais aussi d’images, de véritables clés d’analyse de la couverture médiatique des sans-papiers. La seconde partie de la soirée visait à donner la parole à deux médias belges, l’un francophone, l’autre néerlandophone, qui traitent de cette question de manière particulière par rapport à la presse « mainstream ».   

Laure Miège représentait le Collectif Krasnyi, un groupe de photographes engagés qui souhaitent redonner la parole à ceux traditionnellement absents de la scène médiatique. Leurs reportages de terrain, militants et critiques, poursuivent un véritable objectif social. Au cours de son intervention, Laure souligne le fossé qui existe entre le traitement de l'information liée aux sans-papiers et les personnes directement concernées. Les médias ont en effet tendance à donner la parole à des experts qui produisent un discours certes spécialisé, mais totalement déshumanisé. Le Collectif Krasnyi veut briser cette distance en redonnant la parole aux principaux intéressés. Pour cela, il est primordial de renouer avec le reportage social de terrain, en prenant le temps d’aller à la rencontre de ces personnes et de comprendre leur situation.

Tine Danckaers est journaliste pour le magazine Mondiaal Nieuws depuis 12 ans maintenant. MO* traite essentiellement des questions liées à la mondialisation, à la coopération au développement et aux relations Nord-Sud ; il se veut être un véritable centre d'expertise sur ces thématiques. Tine Danckaers évoque la nécessité de faire du « slow journalisme », mais ajoute que sa rédaction doit faire face à certaines contraintes qui l’empêchent parfois de consacrer le temps nécessaire au traitement du sujet. Pour elle, le rôle du journaliste est d’informer sur les parcours et les conditions de vie de ces individus. L’approche est la même que celle du Collectif Krasnyi : il faut savoir quitter son bureau et entrer en contact avec les personnes concernées pour pouvoir évoquer la question sans amalgames ou a priori. Bien entendu, cela n'est pas toujours facile : Tine Danckaers prend l'exemple d'un de ses reportages sur les mineurs étrangers non accompagnés durant lequel elle a rencontré de nombreuses difficultés à trouver ces jeunes, se faire accepter mais aussi maintenir un contact régulier avec eux.

Pour conclure, tous les intervenants se sont entendus sur la nécessité de revenir aux fondamentaux du journalisme pour traiter de la question des sans-papiers de manière plus juste. La pluralité de l'information comme garantie d'un certain équilibre des discours médiatiques a également été évoquée. Ainsi, le journalisme participatif, en tendant la main à l’expression citoyenne, permet à tout à chacun de jouer un rôle dans la construction ou la déconstruction des discours. 

Rendez-vous sur notre page Flickr pour découvrir toutes les photos de la soirée ainsi que les dessins de Yakana réalisés en direct.