De New York avec Sandy à Tel-Aviv sous les bombes
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Sophie EhrsamLe 14 novembre, Israël a assassiné Ahmed Jabari, chef militaire du Hamas. Naturellement, attaquer la bande de Gaza juste avant les élections est une tradition chère aux gouvernements de droite en Israël.
Pour la première fois depuis la guerre du Golfe, soit depuis 21 ans, c’est le retour des bombardements sur Tel-Aviv, et Jérusalem est la cible de tirs de roquettes pour la première fois depuis 1970.
Il y a trois semaines je suis allée à New York pour la première fois de ma vie. À l’atterrissage, on m’a informée que la tempête annoncée serait pire que ce que les premières estimations laissaient présager. En regardant les infos ce soir-là dans un appartement que je louais à Jamaïca, dans le quartier de Brooklyn, je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir rester. Du coup, cinq heures de course contre la montre en voiture, avec Sandy sur les talons, roulant in extremis sur des routes bientôt barrées l’une après l’autre, pour atteindre le Maine. En revenant à New York la semaine suivante, je pensais que le pire était derrière moi. J’ai fréquenté les musées, regardé les élections américaines dans un bar LGBT ambiance cabaret de Christopher Street, pris de belles photos automnales, dans la douce ignorance de ce que j’étais en train de rater en Israël.
J’ai posté un dernier statut sur Facebook pendant mon séjour pour informer mes amis que j’allais rentrer de New York, quelqu’un m’a répondu : « je te suggère de rester là-bas, selon moi tu y seras à l’abri ». J’ai cru à une blague, j’ai plaisanté à ce sujet avec le chauffeur de taxi haïtien qui m’emmenait à l’aéroport. L’atterrissage à Tel-Aviv était tout ce qu’il y a de plus normal. Je suis rentrée chez moi, j’ai défait mes bagages, rangé mes nouvelles tenues dans l’armoire et j’ai dîné. Puis une alarme s’est fait entendre. Largement rodée aux exercices d’alerte, j’ai décidé de vérifier l’info en ligne, histoire d’être sûre. Selon l’activiste pacifiste israélien Gershon Baskin, qui a fait une déclaration dans le journal Haaretz, ça s’est produit pendant que Jabari travaillait à un accord de cessez-le-feu permanent avec Israël. Maintenant, bonjour les victimes.
Depuis mon appartement dans le quartier résidentiel de Neveh Eliezer, dans le sud-est de la capitale, on entend de temps en temps de fortes détonations. La télévision est allumée, avec sa propagande incessante, justifiant l’idée de nous embarquer dans une autre guerre, encore une fois juste avant une élection (repoussée d’octobre à janvier 2013). Après avoir maintes fois fait et défait mes bagages pendant trois semaines, cette fois je prépare mes affaires de la façon qui m’effraie le plus : dans l’urgence. Tous les documents importants, je les ai mis dans un grand sac : passeports, cartes d’identité, certificats de naissance, diplômes. Des vêtements chauds. De la nourriture déshydratée. De l’eau. Des médicaments. Après, le moment tant redouté du choix : quelle est mon bien le plus précieux ? J’ai eu quelques flashes : ma guitare, mes bouquins dédicacés par Neil Gaiman, des souvenirs liés à des relations. Je vais voir mes bijoux. Choisir un collier à porter pour aller dans l’abri, c’est sans doute la meilleure façon de savoir lequel on préfère. Il n’y a que deux choses que je garderais à tout prix : mon ordinateur portable et mon appareil photo, sans lesquels je ne peux pas travailler. J’enfile un jean et un T-shirt que j’aime bien. Mais pour le moment, je refuse d’y aller. C’est peut-être mon optimisme irréductible, peut-être de la folie, mais même au milieu des bombes j’aimerais mieux rester là où j’ai accès à Internet et du travail. De toute façon, quoi qu’il m’arrive, bombes ou pas, je suis prête. J’ai mon collier violet.
Photo : (cc) [ changó ]/ Riccardo Romano/ flickr/ riccardo-romano.com
Translated from Swapping Hurricane Sandy in New York for Tel Aviv's bombs